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REVUE DES DEUX MONDES.

Leszek II régna glorieusement pendant plus de cent ans, et s’éteignit à la mort d’un prince dénaturé, indigne de porter le nom de ses généreux ancêtres.

Cracovie, fondée par Cracus à la fin du VIIe siècle fut la résidence des rois jusqu’au commencement du XVIIe siècle, époque à laquelle Sigismond III alla s’établir à Varsovie, et jusqu’en 1764 elle a conservé le privilége de couronner les souverains de la Pologne.

Tout dans cette ville porte un caractère imposant d’ancienneté ; tout rappelle un nom, une date, un fait mémorable. Un rempart entoure encore cette cité des princes comme au temps où elle était le bouclier de la Pologne. Les rues sont pour la plupart tortueuses et sombres comme celles des villes du moyen-âge, les maisons portent des pignons festonnés comme celles d’Augsbourg ou de Nuremberg. Ici on aperçoit des portes ornées de colonnettes, et couronnées d’un cep de vigne, comme dans les joyeuses bourgades des bords du Rhin, là des statues de saints, les mains jointes sous leur dais ciselé, comme celles qui décorent le portail de nos vieilles cathédrales ; plus loin, voilà le palais de l’évêché dont les rois briguaient jadis la faveur, et la maison de l’université, la plus ancienne université des contrées slaves après celle de Prague. De tous côtés, je vois aussi des flèches aiguës, des croix dorées. Il n’y a pas moins de trente-huit églises à Cracovie, presque toutes remarquables, les unes par leur architecture, d’autres par leurs pieuses traditions. Celle de Notre-Dame date du commencement du XIIIe siècle ; elle renferme trente autels de marbre et une quantité de tombeaux historiques ; celle de Saint-Pierre et Saint-Paul a été reconstruite par Sigismond III sur le modèle de Saint-Pierre de Rome ; celle des Dominicains, fondée en 1230, possède une double rangée de stalles en chêne sculptées avec un art admirable.

Les longues vicissitudes politiques, qui ont désolé et accablé le peuple de Cracovie n’ont pas encore éteint en lui le sentiment religieux. Un dimanche, j’ai vu les artisans de la ville, les paysans de la campagne avec leurs larges redingotes bleues ornées de bordures rouges, les femmes avec des draps de toile blanche qu’elles jettent sur leurs épaules comme des écharpes, courir d’église en église, se prosterner dans le parvis et baiser le pavé de la nef. Un jour, je traversais la place du marché au moment où un prêtre allait porter les derniers sacremens à un mourant ; il était sous un dais porté par des marguilliers, quatre soldats l’escortaient le fusil au bras, un enfant de chœur marchait devant lui, agitant une clochette. Au son de cette clochette, tous les passans s’arrêtaient, se découvraient la tête, et la plupart se jetaient à genoux. Je suivis le pieux cortége jusqu’à la demeure vers laquelle il se dirigeait. Les quatre soldats se mirent en faction à la porte, et plus de cent personnes étaient là, les mains jointes sur la poitrine, les genoux en terre, priant à voix basse et attendant le retour du prêtre. Quand on se rappelle tout ce que ce pauvre peuple a souffert, il est doux de penser qu’au milieu de ses souffrances il a conservé la piété qui console le cœur, la foi qui le raffermit.

Au centre de la ville, sur un large roc qui domine au loin la plaine, s’élève