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tion de maux, mais il y a eu temps d’arrêt dans les améliorations ; il n’y a pas eu réaction, mais l’action a cessé. Tant que lord John Russell était au pouvoir, les Irlandais prenaient patience, parce qu’ils savaient qu’ils pouvaient compter sur lui, et, s’ils n’avaient pas le jour, ils attendaient le lendemain. Mais dès que sir Robert Peel a pris en main le gouvernement, ils ont perdu la patience avec l’espoir, parce que, pour eux, s’arrêter c’était reculer. La constitution même du gouvernement empêchait sir Robert Peel d’exécuter pleinement ses intentions libérales. Il y a, pour l’Irlande, deux branches distinctes d’administration, un secrétaire d’état résidant à Londres, et un vice-roi résidant au château de Dublin. En Angleterre, où la diffusion des lumières, l’habitude des affaires, et l’esprit de tolérance, qui est toujours inhérent à une civilisation très avancée, émoussent et adoucissent les passions de parti, le gouvernement et la législature se montraient bienveillans à l’égard de l’Irlande ; mais de l’autre côté du canal Saint-George, les animosités religieuses et politiques, les inimitiés héréditaires, reprenaient leur empire, et le gouvernement local de Dublin retombait sous l’influence des protestans et des orangistes. En Irlande, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de partis mixtes. Les orangistes sont toujours en face des catholiques ; les Saxons, comme on y nomme les Anglais, sont toujours en face des indigènes, et les souvenirs ineffaçables de la conquête et de l’oppression planent sur tous les partis. Le vice-roi, lord de Grey, a donc subi, en arrivant en Irlande, les nécessités de cette situation ; les magistrats, qui sont en communication incessante avec le peuple, ont été choisis, comme on devait s’y attendre, dans le parti vainqueur, et il s’est établi au château de Dublin une sorte de camarilla protestante qui a blessé tous les instincts et réveillé toutes les passions du pays.

Une autre cause, qui tient à la situation anormale de l’Irlande vis-à-vis de l’Angleterre, a aussi contribué au réveil de l’agitation. La première condition de la vérité du gouvernement représentatif, c’est que tous les grands intérêts, toutes les opinions considérables, aient une voix et une part d’influence dans la législature. Ce principe s’applique, du reste, à tous les gouvernemens parlementaires. L’existence d’une opposition est indispensable à la complète réalisation du système représentatif ; elle y est une nécessité salutaire. Quand des intérêts qui ont une force réelle dans le pays ne sont pas représentés dans la législature, ne fut-ce qu’à l’état de minorité, il arrive qu’ils cherchent en dehors des limites constitutionnelles la part d’action qui leur est refusée dans la sphère de la légalité. Il est moins paradoxal qu’on ne le pense de dire qu’un gouvernement perd quelquefois à être trop fort. C’est la balance des partis qui fait le libre jeu du système parlementaire ; quand les minorités perdent tout espoir d’être réformistes, elles se font révolutionnaires.

C’est ce qui est arrivé pour l’Irlande. Pendant les dernières années du règne des whigs, le parti irlandais, dans la chambre des communes, avait formé l’appoint de la majorité ministérielle. M. O’Connell, en possession d’une influence légale, en usait légalement, et il avait fait trêve à sa propa-