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REVUE. — CHRONIQUE.

gande en faveur du rappel de l’union, lorsque les élections générales le réduisirent à l’impuissance et à l’inaction. Faites contre lui autant que contre l’esprit de réforme, elles le rejetèrent en dehors du parlement. Il apparut deux ou trois fois dans la chambre des communes ; mais quand il essaya d’y jeter encore son vieux cri de « justice pour l’Irlande, » au lieu d’expressions de sympathie, il n’y rencontra que des exclamations injurieuses, et, après cette courte reconnaissance de la place, voyant qu’il n’avait rien à y faire, et que le temps de sa domination était passé, il sortit de la chambre en secouant la poussière de ses pieds, et en lui jetant pour adieu cette apostrophe menaçante : « L’extrémité de l’homme fait l’opportunité de Dieu ! »

Alors, en face du parlement légal, il organisa un parlement libre. Il alla siéger au milieu de ce peuple dont il est le roi, le maître, presque le pontife, et en moins d’une année il reconstitua sur tous les points de l’Irlande un système d’agitation semblable à celui qui avait arraché à l’Angleterre l’acte d’émancipation de 1829. À l’heure qu’il est, cette agitation est dans tout son feu. Le libérateur, comme on dit en Irlande, parcourt son royaume dans une marche triomphale, et des centaines de mille hommes se pressent sur ses pas. L’Angleterre a pris peur, non pas pour sa sûreté, car elle est et elle se sent la plus forte, mais pour la tranquillité d’une partie de son empire, et elle envoie régiment sur régiment en Irlande. Les ministres, dans le parlement, ont cru devoir réitérer solennellement, au nom de la reine, la déclaration faite par le dernier roi, de sa résolution inébranlable de maintenir l’union législative entre les deux pays, et ils se préparent à prendre des mesures énergiques de répression.

Le caractère le plus grave que présente l’agitation actuelle, c’est l’adhésion du haut clergé catholique. Si le clergé inférieur, peu éclairé, il faut le dire, mais qui rachète ce défaut de culture par beaucoup de zèle et de dévouement, était déjà rallié à la cause du rappel, les évêques avaient, en général, tenu jusqu’à présent une conduite plus politique, et, dans des déclarations collectives, ils avaient recommandé à leurs prêtres de ne point se mêler à des mouvemens qui auraient un but politique. Aujourd’hui, une partie des évêques a suivi M. O’Connell, et, dans tous les cas, pas un d’entre eux ne se déclare publiquement contre le rappel.

Maintenant, le rappel de l’union entre l’Irlande et l’Angleterre est-il praticable ? est-il réellement dans les intentions de ceux qui le demandent à si hauts cris ? Nous en doutons beaucoup. Le rappel ne pourrait s’effectuer qu’à l’aide d’une révolution ; or, l’Irlande n’a pas la force, elle n’a peut-être pas même la volonté de la faire. Il faut s’en rapporter, sur ce point, au caractère de M. O’Connell lui-même. Si quelque chose doit étonner dans cet homme célèbre, ce n’est pas tant l’énorme puissance qu’il a su se créer que la manière dont il en règle et en modère l’usage. M. O’Connell est tribun, dictateur, poète, acteur, tour à tour grandiose, trivial, pathétique et bouffon ; mais il est par-dessus tout avocat. C’était son premier métier ; il en a gardé une connaissance approfondie des lois, il sait le moment précis où il faut s’arrêter