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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

parmi les plaisirs et les fêtes. Le seul portrait que l’on eût de lui, au commencement du xviiie siècle, le représentait, s’il faut en croire l’auteur d’une histoire anonyme du socinianisme, comme un de ces gentilshommes au regard doux et hautain que nous a transmis le pinceau de Van Dyck. Ce n’est pas néanmoins que, de temps à autre, les lettres de Lélio n’eussent excité chez Faustus de vagues ardeurs de controverse, qui, en certaines occasions, se manifestèrent assez clairement pour qu’il se vît contraint de partager l’exil décrété en 1564 par le saint-office contre divers membres de sa famille autrement imbus que lui des idées et des principes de Lélio. Faustus alla demander un asile, emportant dans ses bagages les manuscrits de Zurich, à François de Médicis, grand-duc de Toscane, qui tenait à Florence la plus brillante cour de l’Europe, et dont il devint le commensal assidu et le favori. Les auteurs sociniens gardent un profond silence sur les circonstances qui se rattachent au séjour de Faustus Socin en Toscane ; on voit bien que de l’histoire de leur plus glorieux docteur ils voudraient arracher une page dont ils rougissent ; les uns et les autres se bornent à dire qu’oubliant ce qu’il devait à son nom et à l’œuvre commencée par son oncle, il dépensa follement douze années, les plus précieuses de sa jeunesse, dans les galanteries et la culture des lettres frivoles. Ils se taisent également sur les causes qui le déterminèrent à rompre avec tous ces enivremens, et le jetèrent sans la moindre transition sur cette arène des controverses religieuses, si âpre et si mouvante, qui avait déjà dévoré ses proches et ses amis les plus illustres, et où, durant trente ans, il demeura debout, impassible et inébranlable, livré à la colère de tous les partis, à la haine de tous les gouvernemens. Ce qu’il y a de certain, c’est que, du soir au lendemain, il répudia les plaisirs qui l’avaient absorbé jusque-là, à l’exemple de ces officiers romains qui, sous les premiers empereurs, abandonnaient subitement leurs biens et leurs charges pour embrasser le martyre ou s’enfuir aux thébaïdes ; il renonça aux faveurs du grand-duc François et s’en alla ressaisir en Suisse la plume de son oncle Lélio, non pas la plume que ce dernier tenait d’une main tremblante lorsque sur sa doctrine il amoncelait les allégories et les métaphores, mais celle avec laquelle il avait écrit le Dialogue entre Calvin et le Vatican, et la Paraphrase du premier chapitre de saint Jean.

La fuite de Faustus laissa d’amers regrets à Florence dans le cœur du grand-duc, qui ne s’en consola jamais. À toutes les époques de sa vie, François de Médicis l’engagea vivement à revenir : Faustus persista héroïquement dans sa résolution. Il ne perdit point pour cela la faveur du prince, qui lui conserva la jouissance de ses biens, en dépit des décrets de confiscation lancés par le saint-siége contre tous les hérétiques indistinctement. François mit une condition à ce bienfait ; il exigea de Socin qu’il n’inscrivît point son nom en tête de ses livres sur des matières de philosophie et de religion. Si l’on songe que le prince était immédiatement placé sous la main toute-puissante des papes, qui faisaient et défaisaient les grands-ducs de Toscane, on con-