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à Cracovie, le 11 mars 1660, sous la présidence du palatin Jean Wiclopolski. De tous les ministres sociniens, André Wissowats, petit-fils de Faustus, fut le seul qui osa se présenter. Au nombre des catholiques qui se chargèrent de le réfuter et de le confondre, l’auteur de l’histoire anonyme du socinianisme publiée en France au commencement du xviiie siècle, cite les deux jésuites Henning et Cichow. On jugera par un seul trait que nous empruntons à cet écrivain, dont les sympathies sont acquises aux adversaires de Wissowats, s’il était possible que celui-ci parvînt à les désarmer : « Wissowats fit de son mieux (nous citons textuellement) par son éloquence et par ses enjouemens de parole ; on peut dire même que ses adversaires n’eurent pas sur lui toute la gloire que leur cause méritait. » Pour démontrer que Jésus n’était point Dieu, Wissowats prétendit que Jésus avait lui-même avoué ne pas connaître le jour du dernier jugement. Les deux jésuites se bornèrent à répondre que cela ne prouvait absolument rien, et que Jésus serait toujours Dieu, alors même qu’il aurait ignoré quelque chose. Le palatin, scandalisé d’une si méchante argumentation, s’écria qu’il ne voulait point d’un Dieu qui aurait ignoré le jour du jugement dernier. La querelle s’échauffant, le gardien du couvent des cordeliers s’avança comme pour trancher le nœud de la difficulté : « Que pensez-vous de ceci ? lui demanda le palatin. — Ce que j’en pense ? répondit le bon père. C’est que, si tous les diables de l’enfer étaient ici pour développer la thèse de ce Wissowats, ils ne l’auraient point aussi bien soutenue que lui. — Eh ! que serait-ce donc, répliqua Wiclopolski, si tous les ministres sociniens étaient venus à la conférence ? car enfin il y en a beaucoup de la force de ce Wissowats. — S’il en est ainsi, conclut le judicieux cordelier, je ne vois pas comment nous pourrons nous défendre contre ces sortes de gens. Il vaudrait mieux s’en tenir à l’exécution de l’édit. » Ces paroles du cordelier mirent fin à la conférence, et son avis fut unanimement adopté. Le 20 juillet de la même année, l’édit était exécuté dans ses moindres dispositions.

Les sociniens de Pologne ne se relevèrent point de ce coup terrible ; quelques-uns se rallièrent au catholicisme, quelques autres se perdirent dans les communions protestantes tolérées par la diète ; d’autres enfin, mais en plus grand nombre, allèrent se disperser dans la Transylvanie, dans la Hongrie, la Bohême, la Prusse ducale, la Silésie, la Marche de Brandebourg, l’Angleterre. La plupart se réunirent aux anabaptistes, aux mennonites, aux frères de Moravie. Partout ils furent accueillis par des persécutions ; partout les deux puissances, la puissance civile et la puissance spirituelle, s’unirent étroitement pour les décourager ou les anéantir. Parmi les gouvernemens qui s’acharnèrent à leur perte, on distingua la Hollande, où pourtant la secte devait plus tard revivre dans les arminiens et les remontrans. À quatre époques peu éloignées les unes des autres, les états de Hollande déconcertèrent ou réprimèrent les tentatives que firent les sociniens pour s’établir dans les Provinces-Unies. La première de ces tentatives remonte à l’année 1585 ; elle valut un très long