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LES SOCIN ET LE SOCINIANISME.

vocation de l’édit de Nantes. Il nous faudrait, si nous tenions à caractériser les haines publiques qui se déchaînèrent contre les sociniens et les convoitises privées qui s’assouvirent sur leurs dépouilles, remonter à l’extermination des Maurisques sous le cardinal de Lerme ou sous le comte-duc d’Olivarès. Les sociniens étaient hors d’état d’opposer la plus faible résistance. Un gentilhomme de la secte, Czapliuski, lieutenant du roi à Czehrin, dans l’Ukraine, ayant fait battre de verges un Lithuanien du nom de Chmielnieski, celui-ci se réfugia chez les Cosaques Zaporoviens, les disciplina, se mit à leur tête, et satisfit cruellement sa vengeance sur la noblesse de Pologne, sur les gentilshommes sociniens surtout, dont il brûla les villes et les châteaux. Les plaintes des victimes qui disparurent dans les misères de l’exil ou dans les tortures du supplice furent si énergiques et si touchantes, que, de nos jours encore, en feuilletant les livres qui les ont recueillies, il vous semble que vous les entendez s’élever et retentir. Les malheureux dont on voulut bien épargner la vie furent bannis sous peine de mort ; on confisqua leurs terres et jusqu’à leurs meubles ; on épuisa sur eux, dans les chemins qui menaient à l’exil, les avanies les plus révoltantes et les exactions de tout genre ; il fut rigoureusement interdit à leurs parens les plus proches de leur envoyer les plus légers secours sur la terre étrangère, ou même de leur témoigner la moindre bienveillance. Vous croiriez lire un de ces plébiscites par lesquels l’ancienne Rome retirait l’eau et le feu à ses condamnés.

Le roi Casimir, au nom duquel l’édit était promulgué, avait accordé aux sociniens trois ans pour mettre ordre à leurs affaires. Cette clause fut constamment éludée ; aux catholiques et aux luthériens qui avaient des unitaires pour créanciers, le roi ordonna expressément de s’acquitter envers les proscrits ; pas un n’eut égard à la recommandation du prince ; ceux des unitaires que l’on fit semblant de ménager dans leur fortune ne trouvèrent pas même à vendre leur patrimoine. À peine eurent-ils quitté le sol du royaume, que la diète concéda gratuitement les terres des exilés à leurs ennemis les plus acharnés. Jamais peut-être il n’y a eu exemple d’un plus furieux ni d’un plus inintelligent fanatisme. Pour justifier tant de cruautés et de perfidies, on accusa tout bas les sociniens d’entretenir des intelligences avec leurs anciens alliés de Suède ; c’était là une calomnie contre laquelle les anti-trinitaires protestèrent jusqu’à la dernière heure. Et d’ailleurs, dans ce pays morcelé, livré à toutes les dissensions et à tous les désordres, il n’y avait point de parti qui songeât à faire triompher un intérêt véritablement national. Les nobles qui se prononcèrent contre les sociniens, au nom de l’indépendance polonaise, n’avaient et ne pouvaient avoir d’autre mobile que la cupidité, et cette cupidité n’est comparable qu’à l’ignorance des théologiens qui les proscrivirent au nom de la religion. On en sera convaincu si l’on parcourt les relations que nous ont laissées les apologistes même de la persécution. Deux ans après l’édit de 1658, les unitaires demandèrent à s’expliquer avec les catholiques et les luthériens. Une conférence leur fut accordée ; elle s’ouvrit