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LE MOIS DE MAI À LONDRES.

d’observation, que prodiguait Hogarth, le Molière de la peinture, et même à ces jolies petites compositions de Wilkie, qui ressemblent à des vaudevilles de Scribe ! Il n’y a qu’un temps pour chaque période dans les arts, et ce qui s’est fait une ou deux fois avec succès ne peut plus se refaire.

Les paysagistes qui cherchent à être plus précis que M. Turner sont nombreux. Les principaux me paraissent MM. Stanfield et Creswick. La manière de M. Stanfield est un peu froide et assez monotone, mais elle a de la fermeté et des qualités solides ; ses sujets sont presque tous tirés de Venise ou de Naples : c’est l’éternel palais ducal de Saint-Marc, ou la vue de la Giudecca, ou le château d’Ischia. Rien n’est moins national, comme on voit. Venise est fort à la mode en Angleterre ; c’est le pays du monde où il y a le plus de Canaletti ou soi-disant tels ; toutes les galeries publiques ou privées en sont pleines. La manière de M. Stanfield n’est pas plus anglaise que ses sujets ; ses vues sont égales et semblables à ce qu’on fait maintenant en France dans ce genre : il reproduit la lumière du Midi tout aussi bien que nos meilleurs paysagistes pittoresques ; il fait comme eux absolument. Dans le nombre des tableaux qu’il a exposés, est une vue du Medway, près de l’embouchure de la Tamise, qui ressemble à toutes nos bonnes marines françaises d’aujourd’hui. De son côté, M. Creswick est un paysagiste naturaliste qui a aussi beaucoup d’analogues parmi nous. Ses sites sont pris dans le pays de Galles. Il a surtout exposé un glen ou vallée étroite qui a beaucoup de charme et de vérité. Les rochers sont peints avec une exactitude presque géologique, et en même temps avec un sentiment assez sûr de la nature sauvage. C’est un de ces réduits profonds et solitaires, une de ces fentes ombreuses que se creuse un libre ruisseau des montagnes, quelque chose comme la grotte de Gèdre dans les Pyrénées.

Parmi les nouveaux peintres de figures, on a distingué MM. O’Neil, Duncan et Poole. La Fille de Jephté, de M. O’Neil, est un tableau gracieux, qui n’a que le tort d’être une imitation sensible de Léopold Robert. M. Duncan a représenté le prince Charles-Édouard dormant dans une caverne, après la bataille de Culloden, sous la garde de Flora Mac-Donald et de ses Écossais. Cette scène romanesque serait rendue avec bonheur si le coup de lumière qui éclaire les principaux personnages pouvait être compris. Il fait nuit au dehors, la grotte est obscure, et cependant le prince et Flora sont éclairés comme par un rayon de soleil. L’auteur a voulu sans doute supposer un foyer allumé qui jette