Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/976

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
970
REVUE DES DEUX MONDES.

existent donc ? Je ne sais pas comment il s’est fait qu’en retraçant leur marche je me suis égaré avec eux. Voyez un peu ce que c’est de ne pas suivre l’omnium brevissima et d’oublier un instant la géométrie ! Parlons sérieusement ; on a perdu bien vite le souvenir du mot d’ordre. Pendant que M. de Larochejaquelein disait à la chambre qu’il n’y avait plus de jésuites, l’Ami de la Religion, mieux informé ou plus hardi qu’on ne pouvait l’être devant les représentans du pays, déclarait que les jésuites existaient chez nous, et que tout le monde le savait[1]. Cette déclaration officielle suffirait ; d’ailleurs les preuves sont tellement nombreuses qu’un tel aveu devient presque superflu.

Que veut-on dire lorsqu’on affirme qu’il y a des jésuites ? Non-seulement on entend par là qu’il existe à Lyon, à Paris et dans beaucoup d’autres villes de France des établissemens où se réunissent des ecclésiastiques soumis aux lois de saint Ignace, et qui reconnaissent pour leur supérieur le général des jésuites à Rome, non-seulement on entend que ce soit là les successeurs directs et immédiats de ces jésuites repoussés deux fois de France par les rois très chrétiens, et dont l’ordre fut aboli par Clément XIV aux applaudissemens de toute l’Europe ; mais on veut exprimer surtout que les jésuites actuels ont les mêmes maximes et la même conduite que les anciens, qu’ils commettent les mêmes fautes et qu’ils présentent les mêmes dangers : de sorte que, si l’on ne connaissait en aucune manière l’ordre auquel appartiennent les ecclésiastiques dont il s’agit, il serait facile de prouver que ce sont là des jésuites, par leurs maximes, par leur conduite, par les discussions qu’ils amènent, par l’oppression qu’ils font peser sur le clergé, par la violence de leur polémique et par les symptômes d’une agitation que leur présence a toujours produite. D’ailleurs, d’où partent ces attaques continuelles contre les libertés de l’église gallicane, si ce n’est de la congrégation ? Permettez, monsieur, que j’entre dans quelques détails au sujet de cette démonstration à posteriori de l’existence des jésuites.

Considérée dans ses rapports avec la société, toute religion doit avoir principalement pour objet de répandre chez les hommes les idées morales et la pratique de la vertu. C’est, disait Turgot, parce qu’elle est utile, et non parce qu’elle est vraie, qu’une religion est

  1. « La présence des jésuites parmi nous n’a jamais été un mystère pour personne, attendu qu’ils ne se cachent point, et qu’ils n’ont aucune raison pour se « cacher. » (L’Ami de la Religion du 18 mai 1843.)