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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

adoptée par l’état. À cet égard, l’utilité du catholicisme bien entendu ne saurait être niée par personne, et l’on a dû généralement reconnaître que les maximes de l’Évangile, si elles étaient rigoureusement pratiquées, nous feraient tous vivre en frères. Si donc, à certaines époques, on voit les peuples chrétiens, agités par des passions religieuses, oublier cet esprit de charité évangélique, si surtout ce sont les chefs, les pasteurs, qui donnent l’exemple de la violence et de l’emportement, il faut penser que la morale de l’Évangile a reçu quelque grave atteinte, et qu’un nouveau principe s’est introduit dans la société. Or, l’histoire est là pour attester que depuis trois siècles la plupart des troubles religieux, des discussions intestines qui ont eu lieu entre catholiques et catholiques, au sujet de la foi, furent suscités par les jésuites. Sans aller chercher au Paraguay ou au Japon le souvenir des batailles livrées par les disciples de saint Ignace, il suffira de jeter un coup d’œil sur l’histoire religieuse de la France, à partir du XVIe siècle. Deux livres qui ont paru récemment, et que le fond et la forme recommandent également au public, font mieux connaître que tout ce qu’on avait écrit jusqu’ici l’action funeste des jésuites sur la société française.

Dans les Prédicateurs de la Ligue, M. Labitte a présenté un tableau fidèle des maux incalculables que l’influence des jésuites répandit à cette époque sur la France. Ce livre, rédigé sans passion, mais avec liberté, nous montre la chaire sacrée envahie alors par des énergumènes qui dénonçaient hardiment dans les églises ceux qu’ils ne cessaient d’attaquer dans leurs pamphlets. Port-Royal de M. Sainte-Beuve, écrit avec tant de vérité et de finesse, nous montre ces mêmes jésuites, au XVIIe siècle, poursuivant avec un incroyable acharnement des hommes pieux et respectables, s’attaquant à toutes les gloires de la France pour enlever l’enseignement aux solitaires de Port-Royal ; car, il ne faut pas l’oublier, ce n’est pas d’aujourd’hui que datent les querelles qu’on suscite à l’Université. Les reproches qu’on adresse à la philosophie spiritualiste ne sont qu’un prétexte, et plusieurs siècles avant qu’il fût question de M. Cousin et de M. Jouffroy, les ordres religieux avaient toujours tenté de s’emparer de l’instruction publique, même lorsque l’Université était ecclésiastique et ne pouvait donner lieu à aucune critique en matière de foi. On connaît, au XIIIe siècle, la grande querelle des ordres mendians avec l’Université. Plus tard, ce furent les jésuites qui, s’attaquant à ce grand corps, s’efforcèrent, par tous les moyens et sans pouvoir prétexter l’intérêt de la religion, d’accaparer l’instruction. Ce qu’ils