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LETTRES SUR LE CLERGÉ.

ses qualités, ses défauts, ses projets, sa famille, ses amis, ses liaisons les plus cachées. Concevez-vous, monsieur, toute la supériorité d’action que donne à une compagnie cet immense livre de police qui embrasse le monde entier ? Je ne vous parle pas légèrement de ces registres : c’est de quelqu’un qui l’a vu et qui connaît parfaitement les jésuites que je tiens ce fait. Il y a là matière à réflexions pour les familles qui admettent facilement dans leur sein des membres d’une communauté où l’étude de la biographie est si habilement exploitée.

Il y a peu de temps qu’un journal quotidien, ayant parlé de la maison que les jésuites ont à Lyon, s’attira quelques plaisanteries au sujet d’une découverte dont, au reste, on ne contestait pas la vérité. Si les jésuites voulaient se tenir dans l’ombre, je m’abstiendrais de les désigner plus particulièrement ; mais, puisque nous avons vu qu’ils déclarent n’avoir aucune raison pour se cacher, je serai plus explicite, car ici, chose singulière, il ne s’agit pas d’obtenir un aveu des jésuites, qui s’annoncent dans les journaux, dans les églises, partout : il s’agit de démontrer leur existence à des gens qui n’auraient qu’à ouvrir les yeux pour voir. Que les jésuites soient utiles ou dangereux, que leur doctrine soit bonne ou mauvaise, cela peut à la rigueur être sujet à contestation, et puisqu’il y a des évêques qui repoussent les Provinciales, il peut y avoir des gens qui défendent les jésuites ; mais, quant à nier leur existence, cela n’est pas soutenable. Ceux qui, sans sortir de Paris, voudraient s’assurer de visu de leur existence n’auraient qu’à se rendre près du Panthéon, dans la rue des Postes, et là demander au premier passant la maison des jésuites. Tout le monde la leur indiquera. C’est un grand établissement : il y a une magnifique bibliothèque, un beau cabinet de physique, un laboratoire de chimie très bien garni. Ils ont des professeurs pris dans les sommités de la science, et l’on rencontre parmi ces pères des hommes fort instruits. Ce sont en général des gens de bonne compagnie, liés avec tout le faubourg Saint-Germain, et dirigeant la conscience des plus jolies femmes de Paris. Cette rue des Postes, qui était si déserte autrefois, est devenue le rendez-vous des équipages les plus élégans, depuis que les disciples de saint Ignace ont quitté la rue du Regard pour aller s’installer sur la montagne Sainte-Geneviève.

C’est par les donations surtout que les jésuites se procurent l’argent nécessaire à leurs établissemens. Ils ont un grand nombre de prête-noms qui, moyennant quelques indulgences, reçoivent ces