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l’on ne pouvait donner aussi quelques renseignemens sur leurs forces, sur leurs moyens d’action, et sur leurs projets ultérieurs. À cet égard, monsieur, je puis vous communiquer quelques faits que j’ai puisés à des sources sûres et dont je crois pouvoir répondre. Le nombre total des jésuites en France, qui, sous la restauration, s’élevait à peine au-delà de quatre cents, est aujourd’hui de neuf cents environ. Ils ont presque doublé depuis treize ans. Ils sont établis dans la plupart des diocèses, par petites communautés qui ordinairement se composent d’une vingtaine d’individus au plus. Les maisons de Paris et de Lyon en contiennent seules un plus grand nombre. Voici comment ils procèdent pour s’établir dans une ville. Un beau jour arrive un ecclésiastique, doux, souple, insinuant, et muni de bonnes recommandations. Bientôt il offre de prêcher gratuitement dans l’église principale. Le conseil de fabrique ne demande pas mieux naturellement que d’avoir un prédicateur sans bourse délier. L’offre est acceptée, elle se renouvelle, et le jésuite prolonge son séjour au grand contentement des douairières de l’endroit. Au bout d’un certain temps arrive un camarade, puis un second, puis un troisième ; alors on ne peut plus vivre isolément, et l’on demande à l’évêque la permission de se réunir et d’avoir une église. À ce moment, la maison est fondée, elle s’accroît rapidement, et rien ne saurait l’ébranler.

Les maisons de province correspondent avec celles de Paris ; elles sont aussi en relation directe avec le général, qui est à Rome. La correspondance des jésuites est organisée d’une manière merveilleuse, et, chaque jour, le général reçoit une foule de rapports qui se contrôlent mutuellement. Cette correspondance, si active, si variée, a pour objet de fournir aux chefs tous les renseignemens dont ils peuvent avoir besoin. Il existe dans la maison centrale, à Rome, d’immenses registres où sont inscrits les noms de tous les jésuites, de leurs affiliés et de tous les gens, amis ou ennemis, à qui ils ont affaire. Dans ces registres sont rapportés, sans altération, sans haine, sans passion, les faits relatifs à la vie de chaque individu. C’est là le plus gigantesque recueil biographique qui ait été jamais formé depuis que le monde existe. La conduite d’une femme légère, les fautes cachées d’un homme d’état, sont racontées dans ce livre avec une froide impartialité. Ces biographies sont véritables, parce qu’elles doivent être utiles. Quand on a besoin d’agir sur un individu, on ouvre le livre, et l’on connaît immédiatement sa vie, son caractère,