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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 2.djvu/989

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REVUE LITTÉRAIRE.

aise pour s’étendre en discours d’une longueur cruelle. Les œuvres d’imagination de ce temps-ci se sont multipliées d’une manière effrayante, et ce n’est pas tout encore. Depuis quelques années, elles prennent de fabuleuses dimensions. Trop de romans et des romans trop longs, voilà ce qui explique la crise littéraire dans laquelle nous sommes aujourd’hui.

Ce n’est point seulement en France, c’est aussi dans presque tous les pays où il existe une littérature, que le roman se débat contre des appétits gloutons et dédaigneux qu’il a créés et s’épuise maintenant à vouloir satisfaire. En Angleterre, on rit encore des saillies humoristiques de Charles Dickens, mais l’auteur de Pelham périt par une fécondité presque égale à celle de l’auteur des Mystères de Paris ; et qu’est devenu ce conteur américain qui, séparé de nous par l’océan, trouva le moyen de jeter dans nos veillées le bruit de ses forêts ? La dernière œuvre de Cooper, le Feu follet, est un roman maritime dont la lecture est aussi ennuyeuse qu’un voyage sur mer par un calme plat. Sans intrigue, sans incidens, sans peinture de passions ou de caractères, sans rien enfin qui éveille la curiosité, flatte l’esprit ou fasse battre le cœur, ce triste ouvrage nous promène pendant quatre volumes à travers le plus long et le plus diffus des dialogues. Comment un semblable livre est-il sorti de la plume qui traça le portrait de Bas-de-Cuir ? C’est qu’en Amérique, encore plus que chez nous, le vent de l’industrie souffle sur l’art. M. Cooper s’est mis à expédier des romans en Europe comme ses compatriotes y expédient des ballots de sucre ou de coton. Nous éprouvons à constater de semblables faits une tristesse réelle. Il n’est rien dans la vie qui soit d’une mélancolie plus déchirante que de s’ennuyer avec les êtres qui vous charmaient. Dieu garde tous les gens qui aiment de bâiller à la voix qui les faisait pleurer ou sourire ! c’est un supplice affreux. Eh bien ! ce supplice, les écrivains dont la verve nous a enchantés naguère nous le font connaître en se négligeant. Ceux qui ont encore vivantes dans un coin de leur ame les fraîches et brûlantes images des Pionniers de la Prairie doivent éprouver un véritable chagrin à parcourir les pages du Feu follet. Il est un homme dont l’exemple a été funeste et qui lui-même eût perdu sans doute au régime qu’il s’obstinait à suivre un talent altéré déjà quand la mort vint le frapper : je veux parler de l’admirable romancier qui nous a donné le Monastère, Rob-Roy et Red gauntlet. Des gens qui font ou ne font point le métier d’écrire, c’est un point que nous ignorons complètement et que leur style éclaircit fort peu, ont conçu la singulière et profane idée de prolonger sous son nom l’œuvre industrielle qu’il avait malheureusement entreprise, mais que long-temps encore il eût pu conduire avec plus d’éclat que ses audacieux continuateurs. Semblables à ces marchands, qui fabriquent à Paris des vins de Chypre ou de Frontignan, des spéculateurs ont imaginé de produire et de débiter en France des romans de sir Walter Scott. Allan Cameron et Aymé Verd sont les œuvres qu’ils ont mises au jour. Qu’on nous permette de dire quelques mots de ces deux livres, quoiqu’en vérité nous ignorions presque si les produits de cette nature sont du ressort de l’examen littéraire.