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On sait quel sentiment de tendre sympathie sir Walter Scott avait pour la cause des Stuarts, quoiqu’il fût lui-même protestant et orangiste. Ses héros n’ont jamais les cheveux coupés qu’à demi. Il ne faut pas qu’une vieille cornemuse écossaise joue trop près de leurs oreilles la marche du roi Charles à Worcester ou à Dunhar, car ils sont tout disposés alors à oublier, comme Waverley, qu’ils ont dans leur poche un brevet signé de Guillaume. L’auteur de Redgauntlet a le cœur si profondément imprégné d’un amour instinctif pour tout ce qui tient aux traditions chevaleresques de l’antique royauté, que ses œuvres s’élèvent et s’éclairent toutes les fois qu’elles sont traversées par la figure mélancolique de quelque rejeton des Stuarts. Cependant cet amour, malgré ce qu’il a de vif et d’impérieux, sait toujours se contenir sous un voile, et c’est là même ce qui lui donne son plus grand attrait. On sent chez le romancier étranger ce combat des réflexions positives contre les entraînemens voisins de l’illusion et de la rêverie, d’où naissent les situations émouvantes de l’ame. Les auteurs d’Allan Cameron se sont emparés du sentiment royaliste de Walter Scott sans en comprendre la grace discrète et les délicatesses infinies. Imaginez-vous Mme de Sévigné ayant réellement crié : Vive le roi ! au milieu de toute la cour, après avoir dansé un menuet avec Louis XIV, au lieu de n’avoir eu ce cri que dans sa pensée, et vous aurez une idée de la manière dont s’expriment les enthousiasmes jetés dans les pages d’Allan Cameron. Une absence complète de mesure et même de convenance dans l’admiration et les haines, voilà ce que présente ce roman apocryphe à la place de ce tact exquis, l’éminente qualité de Walter Scott, celle dont il tirait constamment des effets propres à charmer l’esprit, quelquefois même à toucher le cœur. Ni les détails de l’action, ni ceux du style, ne compensent ce défaut d’intelligence dans la conception du livre. L’action est à la fois languissante et hâtive ; le style est le seul côté par lequel les auteurs du prétendu roman de Walter Scott aient donné quelque apparence de vérité à leur mensonge : il est peu de traductions réelles qui soient plus complètement incolores. Aymé Verd, le second produit qui soit sorti de leurs ateliers, n’a pas été fabriqué avec plus d’adresse et de bonheur. Allan Cameron était une imitation de Woodstock, Aymé Verd est une imitation de Quentin Durward.

Quand il plaisait au romancier écossais de faire quitter à son imagination les noires cimes de ses montagnes ou les vertes plaines de l’Angleterre pour l’envoyer se jouer sur les rians coteaux de notre pays, il montrait une connaissance beaucoup plus étendue et plus profonde de la France que les Français qui viennent d’usurper son nom. Aspects de lieux, observations de mœurs, rien ne rappelle dans Aymé Verd cette merveilleuse plume, qui valait à elle seule le pinceau d’un peintre de paysage et celui d’un peintre d’intérieur. De même que ce livre n’est écrit, pour ainsi dire, dans aucune langue, puisque son style, ainsi que celui d’Allan Cameron, se borne à vouloir imiter le style des traductions, de même il semble construit sur une action qui ne se passe dans aucun pays. Aussi ne nous arrêterons-nous point