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LE SALON.

opérations du choix et du classement. Mais ces vingt-trois jours, déjà si insuffisans, se trouvent en fait réduits ordinairement à quinze au plus. C’est dans ce court intervalle d’une quinzaine que le jury a à examiner, à juger quatre mille morceaux ! Cette année, le chiffre a même, dit-on, été au-delà. Les séances durent six heures au plus ; les quinze donneraient par conséquent quatre-vingt-dix heures. En divisant le nombre des ouvrages présentés par celui des temps employés à leur examen, on trouve que la commission a à expédier environ deux cent soixante-dix morceaux par séance, ou quarante-cinq par heure, c’est-à-dire qu’elle n’aurait guère qu’une minute et demie à consacrer à chacun. Maintenant, si l’on tient compte du temps perdu à recueillir les voix, à discuter, et aux autres petits incidens des délibérations, on peut à peine lui laisser, en comptant au plus juste, la minute entière. Si de plus on ajoute à ce défaut de temps l’inattention, la fatigue, l’ennui, toutes choses faciles à supposer, les résultats obtenus par cette méthode de procéder cessent d’être un mystère. On comprend immédiatement la possibilité ou plutôt la nécessité de l’erreur. Les ouvrages passent devant le jury au pas de course, comme les soldats devant le général dans une revue d’apparat. Dans ce défilé continu, ce serait merveille qu’il n’y eût pas de quiproquos. Il n’y a pas de vue assez fine, de jugement assez sûr, de perspicacité assez rapide pour répondre de la justesse d’impressions si fugitives. Le jugement ne peut être dans beaucoup et trop de cas qu’un à peu près tellement chanceux, que l’ensemble de l’opération semblerait n’avoir d’autre but que de donner une apparence d’organisation au hasard.

On voit que les conditions matérielles des délibérations du jury suffiraient seules de reste pour expliquer leurs singuliers résultats. On doit insister d’autant plus sur l’influence de ces circonstances, qu’elles dispensent, d’une part de recourir à des suppositions qui ne sont pas susceptibles de preuve, et que, d’autre part, on peut concevoir l’espérance de les modifier par quelques réformes, comme nous le verrons, assez faciles.

Mais cette cause n’est pas malheureusement la seule. Il y en a d’autres qui compromettent plus directement encore la responsabilité du jury, parce qu’elles ressortent de sa composition même et des idées qu’il paraît s’être faites sur la nature et l’étendue de ses attributions. Quant à sa composition, on ne pourrait guère à priori y trouver à reprendre. Elle offre tout ce qui peut garantir dans un tribunal l’observation des convenances et de la justice ; on s’attend