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naturellement à trouver ici tout ce qu’on peut demander : les lumières, la compétence, l’indépendance, la considération, l’expérience, la maturité. Assurément, quand il s’agit de peinture et de sculpture, on ne saurait, ce semble, mieux s’adresser qu’à l’Académie royale des Beaux-Arts, de même que, s’il s’agit de procédés industriels, on renvoie les parties à l’Académie des Sciences. Lorsqu’en conséquence, après 1830, on s’arrêta à l’idée de former le jury avec les trente-quatre membres des sections de peinture, sculpture, architecture et gravure de l’Institut, on dut se croire dans le bon chemin et avoir supprimé tout motif raisonnable de plainte, et même tout prétexte de déclamation. La pratique a cependant démenti ces prévisions. Les artistes, qu’on crut satisfaire en leur accordant un jury d’hommes spéciaux, en sont venus à regretter le régime des hommes de cour ; ils se plaignaient jadis d’avoir affaire à des gens incompétens, négligens, frivoles, peu soucieux du bien de l’art et des artistes ; ils se plaignent maintenant d’être livrés à des rivaux, à des adversaires systématiques, à des oppresseurs, à des tyrans ; il leur est arrivé comme aux grenouilles de la fable : ils s’indignaient d’être négligés, abandonnés ; aujourd’hui ils crient qu’on les mange.

Qu’y a-t-il de vrai dans ces cris de détresse, et comment ce jury modèle a-t-il pu, sinon mériter entièrement ces accusations, du moins les rendre possibles, et même, jusqu’à un certain point, excusables ? Il est facile d’en trouver la raison. D’abord, nous l’avons vu, ce jury, normalement composé de trente-quatre membres, est, en fait, réduit à près de moitié. On conçoit dès-lors que les garanties d’indépendance, de lumières, d’impartialité, de libéralité, qui, toutes choses égales d’ailleurs, sont plus assurées dans les grandes assemblées que dans les petites, ont été un peu affaiblies, et réciproquement on prévoit facilement que, si des passions, des intérêts, des préjugés de profession, de goût ou d’école, ont à faire jour, ce sera plutôt dans un petit cercle d’individus que dans un grand. Le jury, en se concentrant ainsi, contre l’esprit et la lettre de son institution, dans un trop petit nombre de têtes, a pu très bien contracter à la longue les idées, les habitudes et les tendances plus ou moins circonscrites et exclusives qui caractérisent, à divers degrés, l’esprit de parti, l’esprit de corps, l’esprit d’école, l’esprit de coterie. Ce résultat paraîtra bien moins improbable encore, si l’on réfléchit que ce jury, déjà peu nombreux, ne renouvelle que très partiellement son personnel. Ce sont toujours en effet à peu près les mêmes membres qui y figurent, par la raison fort simple que les retardataires, les démissionnaires, les pro-