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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/1007

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UN FRAGMENT INÉDIT DE PASCAL.

L’homme est né pour le plaisir, il le sent ; il n’en faut pas d’autre preuve. Il suit donc sa raison en se donnant au plaisir. Mais bien souvent il sent la passion dans son cœur sans savoir par où elle a commencé.

Un plaisir vrai ou faux peut remplir également l’esprit. Car qu’importe que ce plaisir soit faux, pourvu que l’on soit persuadé qu’il est vrai ?

À force de parler d’amour, on devient amoureux : il n’y a rien de si aisé. C’est la passion la plus naturelle à l’homme.

L’amour n’a point d’âge ; il est toujours naissant. Les poètes nous l’ont dit ; c’est pour cela qu’ils nous le représentent comme un enfant. Mais sans lui rien demander, nous le sentons.

L’amour donne de l’esprit, et il se soutient par l’esprit. Il faut de l’adresse pour aimer. L’on épuise tous les jours les manières de plaire ; cependant il faut plaire, et l’on plaît.

Nous avons une source d’amour-propre qui nous représente à nous-même comme pouvant remplir plusieurs places au dehors ; c’est ce qui est cause que nous sommes bien aises d’être aimés. Comme on le souhaite avec ardeur, on le remarque bien vite, et on le reconnaît dans les yeux de la personne qui aime. Car les yeux sont les interprètes du cœur ; mais il n’y a que celui qui y a intérêt qui entend leur langage.

L’homme seul est quelque chose d’imparfait ; il faut qu’il trouve un second pour être heureux. Il le cherche bien souvent dans l’égalité de la condition, à cause que la liberté et que l’occasion de se manifester s’y rencontrent plus aisément. Néanmoins, l’on va quelquefois bien au-dessus[1], et l’on sent le feu s’agrandir, quoiqu’on n’ose pas le dire à celle qui l’a causé.

Quand on aime une dame sans égalité de condition, l’ambition peut accompagner le commencement de l’amour ; mais en peu de temps il devient le maître. C’est un tyran qui ne souffre point de compagnon ; il veut être seul ; il faut que toutes les passions ployent et lui obéissent.

Une haute amitié remplit bien mieux qu’une commune et égale le cœur de l’homme ; et les petites choses flottent dans sa capacité ; il n’y a que les grandes qui s’y arrêtent et qui y demeurent.

L’on écrit souvent des choses que l’on ne prouve qu’en obligeant

  1. Faire attention à ce paragraphe et aux deux qui suivent, consacrés au charme et à la puissance des hautes amitiés.