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trouvons cela tout disposé, il ne faut point d’art ni d’étude ; il semble même que nous ayons une place à remplir dans nos cœurs, et qui se remplit effectivement. Mais on le sent mieux qu’on ne le peut dire. Il n’y a que ceux qui savent brouiller[1] leurs idées qui ne le voient pas.

Quoique cette idée générale de la beauté soit gravée dans le fond de nos ames avec des caractères ineffaçables, elle ne laisse pas que de recevoir de très grandes différences dans l’application particulière, mais c’est seulement pour la manière d’envisager ce qui plaît. Car l’on ne souhaite pas nuement une beauté, mais l’on y désire mille circonstances qui dépendent de la disposition où l’on se trouve, et c’est en ce sens que l’on peut dire que chacun a l’original de sa beauté, dont il cherche la copie dans le grand monde. Néanmoins les femmes déterminent souvent cet original. Comme elles ont un empire absolu sur l’esprit des hommes, elles y dépeignent ou les parties des beautés qu’elles ont ou celles qu’elles estiment, et elles ajoutent par ce moyen ce qui leur plaît à cette beauté radicale. C’est pourquoi il y a un siècle pour les blondes, un autre pour les brunes, et le partage qu’il y a entre les femmes sur l’estime des unes ou des autres fait aussi le partage entre les hommes dans un même temps sur les unes et sur les autres.

La mode même et les pays règlent souvent ce qu’on appelle la beauté[2]. C’est une chose étrange, que la coutume se mêle si fort de nos passions. Cela n’empêche pas que chacun n’ait son idée de beauté sur laquelle il juge des autres et à laquelle il les rapporte ; c’est sur ce principe qu’un amant trouve sa maîtresse plus belle et qu’il la propose comme exemple.

La beauté est partagée en mille différentes manières. Le sujet le plus propre pour la soutenir, c’est une femme. Quand elle a de l’esprit, elle l’anime et la relève merveilleusement. Si une femme veut plaire et qu’elle possède les avantages de la beauté, ou du moins une partie, elle y réussira ; et même, si les hommes y prennent tant soit peu garde, quoiqu’elle n’y tâchât point, elle s’en ferait aimer. Il y a une place d’attente dans leur cœur ; elle s’y logerait.

  1. La copie de la Bibliothèque royale donne : « Brouiller et mépriser. » Et mépriser est encore évidemment une erreur du copiste.
  2. Voyez dans les Pensées tous les passages analogues sur la force de la mode et de la coutume. Première partie, art. 9, § 5. « Comme la mode fait l’agrément, aussi fait-elle la justice. »