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REVUE LITTÉRAIRE.

faire de Malherbe un premier jalon, une barrière après laquelle rien ne comptait plus. Le gros du public, dont les opinions toutes faites charment la paresseuse indifférence, ne manqua pas d’accéder à cette proscription en masse, et dès-lors il n’y eut plus que quelques délicats et quelques malins à fureter ces trésors enfouis et trop mêlés de la vieille poésie indigène : La Fontaine pour butiner un conte naïf, Guy-Patin pour attraper une citation leste ou mordante, La Monnoye et Le Duchat enfin pour saisir à leur guise quelque trait d’érudition friande. Et, chose singulière, dans le retour postérieur et récent qui s’est accompli vers les monumens de l’ancienne culture nationale, c’est précisément le siècle le plus rapproché, le siècle confinant à Louis XIV, qui a été le dernier à retrouver quelque attention pour ses poètes. Il n’y a réussi que d’hier. Tandis que Rabelais et Montaigne ne cessaient pas de s’imposer à force de génie, c’est à peine en effet si quelques épigrammes de Marot, si une ou deux satires de Régnier représentaient, dans l’opinion courante, ce qu’il y avait eu alors d’inspiration lyrique et de vraie poésie. Bien qu’il dispensât des recherches, on ne lut même guère le choix judicieux, la petite anthologie que donna Fontenelle. Sa date voisine, le croirait-on, nuisit fort au XVIe siècle, car, aux yeux des érudits, c’est en vieillissant que les figures s’embellissent. On vit bien, plus tard, sous le couvert de la science, les Sainte-Palaye et les Barbazan remonter aux lais des trouvères, au sirventes des Provençaux ; mais il leur eût paru frivole de descendre à des âges si peu éloignés, de se commettre à des noms de si fraîche date. Plus d’un trouva sans doute que l’honnête Goujet dérogeait par ses notices, et que l’abbé Massieu avait bien raison de ne pas prolonger au-delà de Marot sa médiocre esquisse historique.

C’est ainsi que cette pauvre poésie du XVIe siècle s’est trouvée long-temps interceptée, écrasée entre l’indifférence des savans qui ne voyaient là qu’un sujet futile, et la fatuité mondaine qui, faisant durer les temps barbares jusqu’à Henri IV, considérait cela comme la pâture naturelle des pédans. Après le nivellement révolutionnaire qui rendait tout possible, on revint sans préjugé, sans rancune, à l’étude de nos anciens monumens littéraires ; mais la poésie de la pléiade était en si mauvais renom encore que, malgré l’accès facile, personne ne s’y porta aussitôt. C’est alors que Méon et Roquefort reprirent tant bien que mal l’étude des rimeurs de la langue d’oïl, tandis qu’avec une bien autre aptitude Raynouard s’attaquait aux troubadours. Peu à peu pourtant l’impartialité étendit son cercle, et, la mode s’étant prise au moyen-âge, on put descendre jusqu’à la renaissance. Quand l’Académie française, en 1826, proposa pour prix d’éloquence un discours sur l’histoire de la littérature française au XVIe siècle, elle n’eut pas pleine conscience peut-être de la portée de son programme : elle céda à une de ces bonnes inspirations qui ne lui viennent pas tous les jours C’était quitter enfin les voies usées, le thème banal des éloges ; l’instinct, depuis, y a ramené. On eut, de ce concours, deux notices étendues qui, quoique couronnées, parurent piquantes, parce qu’elles ne se défrayaient pas seulement sur l’emphase. La vive et sémillante esquisse