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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/1026

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REVUE DES DEUX MONDES.

avait manqué à elle-même. Maintenant les orages sont passés ; elle n’a plus de ces cruelles angoisses à traverser, comme le procès de son ami le surintendant, comme les calomnies odieuses de ce faquin de Bussy, qui l’a touchée par sa disgrace. L’éloignement et la santé de sa chère Mme de Grignan, les dissipations de son fils le chevalier, qui succède à son propre père auprès de Ninon, mais qui ne tardera pas à devenir dévot, à se chamarrer d’un brin d’anachorète, tels sont les derniers soucis de Mme de Sévigné sur le penchant de la vie. Des lettres attendues ou écrites, une conversation avec le vieux cardinal de Retz ou avec La Rochefoucauld, des lectures sérieuses, l’inaltérable amitié de Mme de La Fayette, quelques voyages aux Rochers, ou à Grignan, des liaisons de plus en plus suivies avec Port-Royal, enfin des ouvertures marquées vers la religion, la seconde Mme de Sévigné (si l’on veut me passer ce mot) est là tout entière. Rien de plus simple, sans doute, rien de moins apprêté, et cependant là est sa grandeur, là est son génie. L’amour de sa fille, c’est alors toute sa biographie, et cette biographie pourtant est touchante jusqu’au sublime. C’est que cet amour lui inspire, pendant vingt-cinq ans, une correspondance de famille qui est restée un chef-d’œuvre dans les lettres : feuilles légères, écrites au courant de la plume et qui ne contiennent guère que des nouvelles mondaines et des témoignages affectueux ; feuilles immortelles, car ces bruits de salon sont la plus piquante chronique du grand siècle, car ces assurances d’attachement sont l’histoire d’une noble passion dans un grand cœur. Si on ajoute que ces lettres sont du plus merveilleux style qu’on connaisse, franc, vif, plein d’abandon, de tour, de couleur, de prestesse, très souvent spirituel, quelquefois magnifique, toujours facile et agréable, léger, courant, moqueur, plus piquant même par ses airs de négligence, libre, varié et incessamment flexible, on comprendra le succès d’un recueil qui paraît d’autant plus littéraire que la prétention littéraire y apparaît moins. Dans un morceau sur Mme de Sévigné, fort peu connu, et que le comte de Sesmaisons publiait à la veille de 89, il y a un joli mot qui explique bien la grace particulière, l’irrésistible attrait de ces sortes de talens spontanés et inconnus à eux-mêmes : « Mme de Sévigné, dit-il, a ignoré son génie ; c’est Psyché qui vit avec l’Amour sans le connaître. » Les femmes qui ont écrit depuis n’ont guère eu la même discrétion.

Nous avons dit que, depuis un an, Mme de Sévigné avait trouvé à la fois trois biographes. M. le vicomte Walsh vient le premier en date, je crois. Son livre est le plus superficiel, le plus fautif de tous, sans comparaison, et cependant il s’en est fallu de bien peu qu’il ne fût, et de beaucoup, le meilleur. Pour cela, il eût suffi à M. Walsh de s’effacer encore davantage et de laisser ses perpétuelles citations s’expliquer les unes les autres aux lecteurs, sans tous ces encadremens de prose lâche, sans toutes ces transitions verbeuses, entre lesquelles elles font tristement contraste. M. Walsh assure qu’il lui a fallu, pour voir la fin de son œuvre, travailler pendant huit mois le jour et la nuit ; c’est que M. Walsh copie bien lentement.

L’érudition de ce volume n’a pas coûté grands frais à l’auteur ; s’il s’agit de