Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/1027

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
1021
REVUE LITTÉRAIRE.

l’histoire contemporaine, la Biographie Universelle, s’il s’agit de Mme de Sévigné, les Lettres, voilà au complet l’arsenal scientifique de M. Walsh. Aussi les erreurs ne lui coûtent guère : on en pourrait relever bon nombre. Est-il question, par exemple, de l’abbé Arnauld, aussitôt le pauvre abbé est confondu en une seule et même personne avec Arnauld d’Andilly, son père. M. Walsh, en gentilhomme de l’ancien régime, se pique bien de savoir les généalogies, mais il est trop bon catholique sans doute pour descendre à des généalogies de jansénistes. Les hommes bien appris ne disent l’âge des femmes que pour les rajeunir : toutefois, la courtoisie de M. Walsh est un peu trop rétrospective. À quoi bon répéter jusqu’à trois fois, de peur qu’on ne s’y trompe, que Mme de Sévigné est née en 1627, quand il est avéré, par son acte de baptême, qu’elle est de 1626 ? Encore serait-il bon de savoir la date de naissance de l’héroïne à laquelle on consacre tout un volume. Ces airs d’ignorance de cour et de légèreté mondaine paraîtront surannés à quelques-uns. Pour écrire la vie d’une personne aussi distinguée que le fut Mme de Sévigné, il ne suffit pas de jeter les citations au hasard dans un délayage honnête et sentimental, il ne suffit pas de faire de cette femme spirituelle une châtelaine qui a de preux devanciers, et qui est fière du casque de chevalier de ses aïeux. Cela est bon tout au plus pour les jeunes pensionnaires des couvens royalistes. Lorsqu’on touche à l’endroit le plus délicat du XVIIe siècle, à la grace même dans sa fleur, il serait d’un ton plus réellement aristocratique de ne pas faire des femmes d’alors des illustrations, et de ne pas parler à ce propos de nuages assombris et d’animation de la vie. Le goût le moins timoré se choque de voir transporter ainsi le patois moderne dans les lointaines et glorieuses époques qu’il en faudrait au moins préserver. M. Walsh, en plein Louis XIV, trouve même moyen de faire une longue allusion à Mme Lafarge. En somme, dans tout ce livre, fort estimable par la chevalerie des sentimens, mais par là seulement, il n’y a de remarquable que les citations. C’est une médiocre édition des lettres de Mme de Sévigné, mêlée, coupée, saccagée. Cela ne compte pas.

Le livre de M. Aubenas ne ressemble aucunement à celui de M. Walsh, et nous l’en félicitons. C’est un travail patient, consciencieux, et tout-à-fait digne d’estime. Si l’auteur quelquefois s’attarde un peu trop aux épisodes et perd du temps, on le suit, en revanche, avec intérêt dans tout ce qu’il dit de Mme de Sévigné, dans tous ces détails de vie privée et mondaine où il l’accompagne pas à pas avec une scrupuleuse et attentive persévérance. En ce qui touche le sujet même du livre, il y aurait peu à reprendre : M. Aubenas est si au courant, il est entré si avant dans l’intimité de la spirituelle marquise, il est si soigneux à en noter les moindres particularités, qu’il serait difficile de le trouver en défaut. Je ne sais guère à lui reprocher (et le reproche n’est pas grave) qu’un peu trop d’optimisme à l’égard de sa séduisante héroïne ; le procédé a même en lui ses inconvéniens : ainsi, quand M. Aubenas la justifie obstinément dans les plus petites choses, à propos des pendaisons de Bretagne par exemple, il se trouve que l’extrême insistance