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tiennent point une grande place dans la politique proprement dite, ils se rattachent intimement à l’état social et économique de la Grande-Bretagne, et sous ce rapport ils offrent un spectacle digne d’attention, comme ils présentent aussi, sous un autre aspect, des scènes de mœurs pleines d’intérêt et d’originalité.

Il faut, monsieur, relire les romans de Walter Scott pour trouver quelque chose qui ressemble aux exploits de Rebecca et de ses filles. Vous vous rappelez ce livre admirable, Ivanhoé, et le charme romantique avec lequel y sont racontées les prouesses de Robin-Hood. Vous n’avez pas oublié comme le célèbre outlaw rendait la justice naturelle sous le grand chêne de la forêt de Sherwood, et comme le son de son cor semblait faire sortir un homme de chaque tronc d’arbre. Je crois n’avoir pas besoin de vous dire que je ne me sens aucune admiration romantique pour les équipées de miss Rebecca et de ses aimables filles ; je ne doute pas que, lorsque plusieurs centaines d’années auront passé sur leur histoire, on ne puisse, si on s’en souvient encore, y trouver matière à un roman fort agréable ; mais il faut pour cela qu’il y ait prescription. Dans ce temps-là aussi, Rebecca ne fera sans doute qu’un seul être, n’importe de quel sexe ; aujourd’hui Rebecca peut dire : Ego sum legio. C’est un mythe évidemment composé de plusieurs personnes ; chaque chef de bande prend le nom générique. Les journaux ont annoncé, ces jours derniers, qu’on avait pris la véritable Rebecca, mais je crois bien que pour une qu’on a cru prendre, il en renaîtra vingt autres. Rebecca, comme vous savez, n’a de féminin que la jupe ; ce nom est venu au premier chef de bande de ce que, pour ne pas être reconnu dans ses expéditions, il s’accoutrait en femme, avec une robe ou une camisole. Ses gens firent de même, d’où ils furent appelés les filles de Rebecca.

Si j’ai rapproché les exploits de Becca de ceux de Robin Hood, ce n’est donc pas, ainsi que je vous le disais, pour leur donner une couleur poétique, et pour les justifier aux yeux des amateurs du genre pittoresque, mais seulement parce que, dans le pays de Galles, ces bandits redresseurs de torts ont acquis une sorte de popularité, et n’apparaissaient aux yeux des classes ignorantes que comme les instrumens de la justice naturelle et du droit primitif. Le caractère biblique qu’ils donnaient à leurs exécutions frappait même les imaginations religieuses, et leurs rangs se grossissaient d’une foule de fanatiques. La devise de Becca et de ses filles était le verset 60e du 24e chapitre de la Genèse : « Et ils bénirent Rebecca, et lui dirent : Tu es notre sœur ; sois fertile par mille millions de générations, et que ta postérité possède les portes de ses ennemis. » Ailleurs, dans une de ses proclamations, Rebecca disait : « Le peuple est avec moi. Quand je rencontre sur ma route les chaufourniers couverts de sueur et de poussière ; quand je vois les charbonniers se rendant tout déguenillés à la ville, je sais qu’ils sont à moi, qu’ils sont les enfans de Rebecca. Quand je contemple les femmes des fermiers portant de lourds paniers au marché et pliant sous le faix, je sais bien que ce sont mes filles. Si je me dirige vers une ferme, et que je voie toute une famille manger du pain