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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/106

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la poésie en conviennent, c’est à l’amour pur, c’est au culte désintéressé des beaux vers que semblent se reconnaître tout d’abord les ames bien nées. Quelle pente naturelle n’a pas aussitôt un cœur délicat pour ceux qui retrouvent leur langue dans cette langue préférée, pour ceux qui d’eux-mêmes se réfugient en ces sphères sereines, où s’avive le goût de ce qui est bien, de ce qui est vrai, et où se rencontre le charme qui ne se flétrit pas, cet æternum leporem dont parle Lucrèce, c’est-à-dire le don de l’inspiration soumis à la loi sainte du travail, l’essor de la pensée fixé à jamais sous les liens puissans du style ?

C’est à l’active intervention de la poésie que notre période littéraire devra ses plus durables monumens, le plus vif éclat de sa gloire. Quelle que soit l’opinion, enthousiaste ou dégoûtée, que l’on professe sur l’ensemble du mouvement intellectuel qui s’est accompli en France depuis vingt-cinq ans ; quelque jugement, sévère ou favorable, que doive prononcer définitivement l’avenir sur cette confusion étrange des nobles penchans et des pires instincts, sur ce mélange de promesses brillantes et de tristes avortemens, il y a, selon nous, un accent contemporain que recueillera sans nul doute l’attention des siècles futurs, il est un legs saint qui est assuré de ne pas périr dans ce possible naufrage. Cette originale création de notre époque, et qui lui assurera dans l’histoire un caractère vraiment distinctif, c’est évidemment le lyrisme. Ailleurs tout, presque tout était trouvé ; là tout était à faire. Qu’on y veuille songer, il n’y a eu, dans aucune littérature, de plus merveilleux prosateurs que les nôtres ; il n’y a eu nulle part un plus grand théâtre que le théâtre français. Ce sont là assurément, pour un troisième âge littéraire, de dures conditions, des antécédens difficiles, et, en quelque sorte, un idéal désespérant.

En s’attaquant tout d’abord et sans crainte aux genres les plus divers, en se jetant à la fois dans les routes les plus opposées, notre époque a montré de nobles ambitions qu’il faut se garder de méconnaître. Aussi, tout en protestant contre les exagérations vaniteuses et les folles tentatives, on ne saurait trop applaudir à ce que, dès le début, il y a eu de généreux dans ce désir de conquêtes intellectuelles, à ce qu’il y a eu d’excitateur dans cette impatience du nouveau et de l’inconnu. Voilà d’ordinaire comment se préparent les grandes choses. Malheureusement, ces louables efforts ont dégénéré peu à peu. La mesure a bientôt disparu, et trop souvent les caprices individuels ont compromis, par une fatale obstination, l’ori-