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aurait, pour être convaincu, qu’à passer des créateurs aux imitateurs. C’est une loi inévitable de l’histoire de l’art que les défauts des maîtres apparaissent avec toute leur saillie, et se révèlent, en s’exagérant, dans les compositions de leur école. Sans doute, à l’heure qu’il est, il n’y a pas, à proprement parler, d’écoles poétiques : les centres qui avaient réussi à se constituer dans les dernières années de la restauration se sont trouvés brusquement dissous par une révolution politique, et, depuis, on n’a eu aucune occasion décisive, on n’a fait aucun effort sérieux pour se rallier autour d’un principe commun, pour courir la même fortune sous le même drapeau. Qu’est-il trop souvent advenu, pour les maîtres eux-mêmes, de cet esprit d’isolement ? Quelques-uns, atteints par le dégoût, se sont réfugiés dans le silence, ou n’ont plus demandé que rarement à la muse, à la seule muse, les inspirations qui hier leur venaient aussi d’un cercle ami et solidaire ; d’autres, enfermés résolument en eux-mêmes, ont fini par professer le culte de leur propre pensée et par s’imaginer que le monde les suivait en ces dangereuses solitudes, où le fétichisme individuel n’est plus, à la longue, qu’une forme de l’impuissance. De là, plus d’un résultat fâcheux ; ici, une forme tourmentée, le manque de souffle, l’épuisement, quelquefois même un silence prématuré ; là, au contraire, une abondance malheureuse à qui tous les prétextes, toutes les occasions sont bonnes, et qui, satisfaite du bruit, prend la notoriété pour la gloire.

Dans les dernières années, cette complète dispersion des groupes poétiques, cette disposition du public à écouter chacun sans subir la tyrannie de personne, la liberté par conséquent laissée au premier venu de suivre ses propres instincts sans être aussitôt ramené aux cadres de convention par le despotisme d’une école exclusivement régnante, tout cela a fait illusion à bien des talens secondaires jusque-là plus modestes et aussi à presque tous les débutans. On en a vu plus d’un prendre naïvement ses plagiats pour des nouveautés. Les plus décidés affichent ces prétentions à l’esprit inventif dans leur préface ; d’autres, plus humbles, les glissent seulement à la fin d’un sonnet sur l’art ou d’une ode sur la mission sacrée des poètes : bref, on les retrouve partout. Rien cependant n’est moins justifié que de pareilles ambitions ; ce qui manque en effet à toutes les poésies nouvelles, c’est précisément, c’est surtout l’originalité. Non-seulement tous les nouveaux arrivans ont des airs de famille, mais le plus souvent c’est une assemblée de Sosies : il n’y a que l’habit qui diffère. Qu’on se plaigne, après cela, de l’indifférence du public ; le