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POETÆ MINORES.

détail, en s’approchant des talens et en considérant de près les directions qu’ils ont suivies, en voyant d’où plusieurs sont partis et où quelques-uns sont arrivés, il y aurait bien des restrictions à faire, bien des déviations à déplorer. De quels excès le goût, même le moins timoré, n’aurait-il point à se plaindre ! Que de réserves ne faudrait-il pas établir, tantôt contre les aberrations de la pensée, tantôt contre le dévergondage de la forme, le plus souvent contre l’alliance presque nécessaire des idées mauvaises et du mauvais style ! Mais, entre ces abus regrettables, il y en a un qui me frappe surtout, parce qu’il est devenu presque général, parce qu’en se prolongeant il ne manquerait pas d’être pris pour un symptôme assuré de décadence. Ce défaut, dont bien peu se défient, c’est la diffusion. Plus que jamais la sobriété manque, cette sobriété savante qui affermit l’inspiration par la réflexion, et qui rend éternel l’élan du penseur par la patience de l’écrivain.

Quand on songe aux œuvres déjà si étendues de quelques-uns de nos poètes les plus aimés, les plus célèbres, le doute arrive, quoi qu’on fasse, et on se demande si l’avenir, occupé de lui-même, ne sera pas tenté de laisser dans l’ombre, sans les distraire de leur volumineux entourage, tant de pages vraiment belles, vraiment dignes de vivre. Sans doute, aux yeux des contemporains, la valeur du poète n’est pas diminuée par ces jeux puissans d’une pensée qui s’épanouit en une profusion d’images, et qui se répète, comme un écho séduisant, en vingt métaphores successives : il y a même dans ce jet rapide, dans cette continuité brillante de la production, un charme particulier, quelque chose de l’irrésistible empire qu’exerce sur la foule une improvisation chaleureuse. Et cependant, n’est-ce pas beaucoup risquer, quand on est réellement poète, que de se complaire à ces éclats, à ces triomphes d’un jour et de transporter ainsi dans l’art les succès passagers de la tribune ? La poésie certainement a le même fonds que l’éloquence ; mais l’une s’adresse à ceux qui lisent, l’autre à ceux qui écoutent. Le poète remplace le débit par le rhythme, ce qui passe par ce qui dure : c’est, si l’on peut dire, l’éloquence saisie en sa vivacité, fixée dans son action, et rendue ainsi immortelle. Qu’on y prenne garde, la faculté poétique a besoin, avant tout, d’une forte discipline : or, ce qui fait défaut actuellement, ce n’est ni le talent ni même le génie ; c’est bien plutôt le sens qui contient, la volonté qui dirige, le travail qui châtie, et, pour tout dire, la patience qui, sans se lasser, va de l’à peu près à la perfection.

S’il restait un doute sur l’opportunité de ces remarques, il n’y