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le Mardoche et le Paez d’Alfred de Musset semblent de vrais bourgeois. Pauvre imitation, et la pire de toutes, que celle qui copie la boutade et singe le caprice !

Mais au moins faudrait-il, avec ces sceptres d’emprunt, ne pas se donner des airs de conquérant, ne pas afficher à tout propos les façons royales. Dans les époques littéraires régulièrement constituées, tout a son ordre et sa mesure : les talens secondaires reconnaissent naturellement leur place. Aujourd’hui ce sentiment, qui fait chacun s’apprécier et se tenir à son rang véritable, devient à chaque instant plus rare. En poésie surtout, on dirait que le premier plan n’est plus réservé exclusivement aux gloires légitimes, aux vrais rois de la lyre : tout nouveau venu se croit le droit de s’y installer. Ces folles ambitions veulent être relevées, et à leur tour les poetæ minores doivent fournir une série d’études qui peut-être ne sera pas sans profit. Après tout, une pareille classification est un hommage indirect rendu aux maîtres, et c’est à leurs propres prétentions, qui seules en ont donné l’idée, que s’en devront prendre les mécontens. Et puis que voulez-vous ? De nos jours, la fortune n’est propice à aucune royauté, quoique les royautés abondent : c’est un malheur des temps, et il faut bien se résigner à ce que la critique, après tant d’autres, se passe l’innocente fantaisie d’arracher quelques couronnes. Dans une époque d’ailleurs où le lyrisme compte de si éminens interprètes, le second rang ne devrait-il pas paraître désirable encore et satisfaire des vanités même susceptibles ? Mais qu’est devenu l’esprit de discipline et qui reconnaît une hiérarchie ? Devant tant d’exigences ambitieuses, maintenons ses priviléges au bon sens : majores audire, minori dicere, voilà un devoir et un droit qu’Horace, en un autre sens, proclamait il y a deux mille ans ; nous voudrions remplir l’un et profiter de l’autre.

Aujourd’hui, il ne sera question que de vers, de vers tout récens. Et d’abord la première question, la question préalable qu’on a à s’adresser, c’est de savoir si ce mépris du public pour la poésie dont parlent bien haut les préfaces, si cette déchéance définitive de la muse dont il est question à chaque page des volumes nouveaux, sont des faits avérés et incontestables. Pour ma part, je pense précisément le contraire. Sans doute de ce qu’on ne les remarque pas, bien des poètes concluent aussitôt au dépérissement du goût poétique : induction forcée et qui trahit les blessures de l’amour-propre. Cette admiration des œuvres consacrées, en même temps que cette indifférence pour tant de nouveautés banales, montrent au con-