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POETÆ MINORES.

traire dans le public une sympathie persistante pour tout ce qui est invention, un dégoût de plus en plus marqué pour tout ce qui n’est qu’imitation. Des dispositions pareilles sont excellentes, et on ne saurait trop les encourager, car il y faut voir le gage d’un favorable accueil pour tout ce qui aura vraiment la jeunesse et la vie.

On a vu quelle était, suivant nous, la situation de l’esprit lyrique en France. Tandis que la plupart des talens acceptés se laissent envahir, les uns par le dédain, les autres par le découragement, aucun génie nouveau ne se révèle, aucune lyre n’attire l’oreille par des accens qui lui soient propres. Sur tous les points, c’est un concert si monotone, qu’aucune note ne demeure distincte dans le souvenir ; sur tous les points aussi, par une contradiction étrange, ce sont des aspirations incroyables à l’originalité et à la puissance inventive. En somme, l’acharnement verbeux des imitateurs est aussi infécond que le silence prolongé des maîtres. Si l’on veut s’enquérir avec quelque certitude de la vérité de ces assertions, il n’y a qu’à aborder le détail, il n’y a qu’à jeter un rapide regard sur les recueils poétiques qui ont paru dans ces derniers mois.

Pour rester fidèle à la chronologie, faisons d’abord leur place aux ambitions surannées. Chacun sait avec quelle hâte l’esprit de parti, dans les dernières années de la restauration, s’empara de M. Guiraud pour en faire un candidat à l’institut. La candidature fut heureuse. Or les trônes tombent, et les fauteuils académiques survivent aux révolutions. Qu’est-il arrivé de là ? Après 1830, sous le soleil excitateur de juillet, la vanité satisfaite de l’académicien et la vanité blessée du poète monarchique ont persuadé à l’auteur des Machabées qu’il était appelé à une mission de régénérateur. C’est un effet trop fréquent de ces grandes commotions politiques d’éveiller de la sorte, dans certains esprits mal en garde contre eux-mêmes, des ambitions démesurées, une sorte d’activité fébrile et malheureuse. Les buts les plus divers ont tour à tour tenté M. Guiraud : comme les néophytes des premiers siècles, on l’a vu dépouiller subitement le vieil homme. L’élégie n’était-elle pas désormais un cadre mesquin pour le poète qui s’imaginait saisir un rôle à part, en se faisant l’écho tardif de la barbare logomachie qu’avaient inventée et usée les humanitaires du radicalisme et les néo-catholiques du feuilleton ? Philosophie, roman, épopée, M. Guiraud s’est donc essayé à tout, en mêlant à tout, sans plan, sans méthode, de vagues théories d’immobilité et de creuses aspirations vers le progrès, en un mot les vieilles nouveautés du socialisme et les vieilleries renouvelées de la théocratie.