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y parle de la mort de sa mère, de mille souvenirs d’intérieur, avec une sensibilité vraie qu’il fait partager au lecteur. Sans doute, dans la trame un peu lâche de ce rhythme énervé, on ne rencontre jamais l’accent soudain qui fait tressaillir, le vers inspiré qui se détache et sonne tout à coup avec éclat ; mais, aux bons endroits, il y a un certain abandon, une certaine mélodie languissante où l’on se berce, et qui, en réalité, ne sont pas sans charme ; par malheur, l’emphase revient vite, retient incessamment et tient le dé. Ce goût pour le phébus philosophique sert mal M. Guiraud, et ajoute encore, par les néologismes, à ses habitudes de négligence et d’incorrection. Je ne parle pas des prosaïques trivialités, on en a pu juger. Il y a à chaque instant des vers comme celui-ci :

Et tout mon cœur s’émeut au fond de mes entrailles,

ce qui fait qu’on s’écrie aussitôt avec Berchoux :

Mais de son estomac je distingue son cœur.

Au temps de Fréron et de La Harpe, quand la critique vivait surtout de détails et se plaisait aux petites escarmouches de style, le poème de M. Guiraud eût défrayé pendant un mois l’Année littéraire et le Mercure. On en eût donné vingt extraits et des citations à épuiser les italiques d’une imprimerie. Aujourd’hui, chacun le comprend, cette guerre mesquine n’est plus de mise ; on laisse volontiers le rudiment aux gens de collége et la syntaxe aux pédans. Il faut bien remarquer cependant que M. Guiraud, pour un académicien du Dictionnaire, prend avec la prosodie, avec la langue, des libertés par trop familières. Passe encore pour ces doubles substantifs que le poète accouple incessamment, passe pour les obusiers-forbans, le monde-éternité, les arbres-colosses, et cent autres gentillesses ; mais on ne devrait pas oublier la grammaire jusqu’à écrire :

Où quelque vieille église et son svelte clocher
Pose admirablement au sommet d’un rocher.

M. Guiraud appartient à cette école douteuse, incertaine, qui hésite entre la régularité descriptive de la poésie impériale et l’indépendance conquérante de la poésie contemporaine. On ne retrouve dans ses paysages ni les lignes sévères de David, ni les tons brillans, ni la lumière éthérée de la moderne peinture. De là un genre composite qui, au lieu d’unir les élémens contraires dans une harmonieuse unité, emprunte à tous sans que ces emprunts amènent et consti-