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POETÆ MINORES.

tuent une manière propre et distincte. Comme M. Guiraud est très loin de manier la langue en maître, comme l’idiome rebelle se dérobe au contraire sous sa main peu sûre, cette hésitation entre les procédés divers, cet embarras de l’imitation, passent du fond dans la forme et ajoutent encore à l’impropriété et à la pesanteur du style. Ce n’est pas tout, par la multiple variété de ses ambitions, par l’effort exagéré qu’il impose à un talent fait pour soulever le léger fardeau de la muse élégiaque, M. Guiraud compromet de plus en plus ce don aimable de l’émotion tendre qu’on s’était plu naguère à lui reconnaître. Ces nerveux ébranlemens, cette fièvre volontaire, conviennent mal à une nature délicate et, qu’on me passe le mot, à un tempérament quelque peu lymphatique. J’entendais dire à l’un des plus spirituels confrères de M. Guiraud à l’Académie que c’était là « du Chapelain mou. » Le jugement est cru, il est vrai. Aujourd’hui, la muse des Petits Savoyards doit être harassée de tant d’aventureuses excursions, et, pour nous servir d’un mot de M. Guiraud, elle fera bien d’accepter momentanément

Ce besoin de repos que tout être réclame.

C’est par un conseil analogue que nous nous voyons contraint de débuter avec l’auteur des Rimes héroïques[1]. M. Guiraud, en effet, c’était le poète déjà sur le retour et se débattant en efforts pour tâcher de rajeunir ; M. Barbier, au contraire, c’est le poète jeune et original qu’atteint avant l’âge une vieillesse prématurée. Le chantre des Iambes a bruyamment débuté dans la littérature contemporaine. Il ne faut pas s’en étonner : une révolution l’avait fait poète. La Curée et les satires qui forment le premier recueil de M. Auguste Barbier ne veulent pas être distraites du milieu, pour ainsi dire, où elles se sont produites. Ce qu’il y a de factice dans le procédé de l’écrivain, ce tour uniforme d’énumération descriptive et de personnifications symboliques, ce parti pris de la crudité, tout cela était racheté par la sincérité énergique de l’indignation, par le feu d’un entraînement réel. On ne saurait le nier, cette muse débraillée, qui est loin maintenant de nous être avenante, a été, durant quelques heures, la muse de la France. L’éclat sans doute fut très court ; mais les Iambes ne seraient pas regardés désormais comme un évènement de l’histoire littéraire, que leur succès aurait cependant sa place dans l’histoire politique. Il y a là une date : M. Barbier aussi a eu ses trois jours. Mais ces sortes

  1. Un vol. in-18, chez Paul Masgana, galerie de l’Odéon.