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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/126

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REVUE DES DEUX MONDES.

réputations très diverses ; cependant chacun d’eux a eu son moment. Le poème des Petits Savoyards mena M. Guiraud à l’Académie, et les Iambes rendirent presque populaire le nom de M. Barbier. Avec des efforts, avec la patience, ces talens, si inégaux qu’ils fussent, pouvaient, celui-ci croître, celui-là se maintenir dans une sphère modeste. Aujourd’hui, la prétention les a jetés hors des routes sûres ; tous deux se sont égarés sous les ambitieux aiguillons. M. Guiraud a cru découvrir la poésie sociale, M. Barbier la poésie humanitaire ; toute vraie poésie alors s’est retirée d’eux. L’invention leur a fait absolument défaut, et il s’est trouvé que l’imitation, dans leurs livres, n’avait même plus la fraîcheur de la jeunesse.

Cette maladie littéraire paraît être épidémique ; elle a passé jusqu’en province, et, au fond de la Normandie, M. Alphonse Le Flaguais se montre à nous comme une de ses plus complètes victimes. M. Le Flaguais, par son obstination infatigable, est devenu le type d’une famille littéraire chaque jour moins amusante, et chaque jour cependant plus nombreuse. Mieux que personne il nous semble représenter, dans sa vraie nuance, le poète incompris. Au surplus, c’est un peu de sa faute, si l’auteur de Marcel[1] a tant à se plaindre des amers désenchantemens. Que voulez-vous ? M. le conservateur de la bibliothèque de Caen rêve la monarchie terrestre, rien que cela. Alexandre et Napoléon n’étaient, auprès de lui, que des écoliers. Les poètes donc, au dire du rapsode neustrien, doivent gouverner le monde ; les poètes sont plus grands que les rois, ils ont à eux l’univers. Sans doute M. Le Flaguais ne se dissimule pas que nous sommes dans des temps mauvais, où les royautés s’en vont, où les rois craignent l’échafaud et le poignard ; il croit même, par analogie, que la poésie a maintenant ses bourreaux :

… Ils l’ont saisie avec leurs mains fangeuses,
Ils l’ont assassinée…

Mais le chantre de Marcel accepte ces dures conditions de la royauté poétique ; il en a pris son parti, le sceptre vaut bien quelques sacrifices :

… J’abandonne ma vie
Aux dangers de la poésie.
..............
Je chanterai toujours et ne fléchirai pas.

  1. Un vol. in-18, au comptoir central de la librairie.