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tentivement ces volumes de vers, on remarque certainement plus d’une élégie tendre, plus d’une ode élégante, plus d’une méditation gracieuse ; mais, dès le lendemain, aucune n’a laissé de trace vive dans la mémoire : on garde seulement l’impression d’une certaine harmonie assoupissante. C’est qu’aucun de ces morceaux ne porte avec lui son empreinte, et que, distrait du recueil où il est inséré et transposé dans le recueil voisin, il ne ferait pas disparate, et semblerait même à sa place. La plupart du temps, il ne s’agit que de souvenirs de Lamartine repris, développés, commentés. Je me rappelle une pièce de Mme Bayle-Mouillard appelée Poésie et Sommeil : ce titre-là pourrait servir également d’épigraphe aux recueils de ces trois dames.

Quand des œuvres sont à ce degré incolores, à ce degré dénuées de sceau personnel, il n’y a de remarques possibles que les remarques générales. C’est toujours la même eau tiède et fade qui s’échappe en jets pareils. Ésope au moins, dans son repas des langues, déguisait l’uniformité des mets sous la variété piquante de l’assaisonnement : ici le goût n’est même pas éveillé par la différence des apprêts. Jamais cependant il n’y a eu plus de femmes poètes, poetriæe minores ; en laissant à part les muses plus ou moins bruyantes du monde parisien, on en pourrait encore compter plus d’une par département qui imprime ses vers pour l’académie du lieu et fait état de publicité provinciale. Ce n’est pas tout : le même fait se répète absolument de même en Angleterre, et l’exemple, passant par l’Allemagne, commence à se propager au-delà des Alpes. Sur tous les points de l’Europe, les échos féminins se répondent ; partout on fait du piano un trépied et on redit, pour la millième fois, dans une langue flasque et sans relief, des sentimens usés que n’avivent même pas la fraîcheur du coloris et le brillant des nuances. Et notez, malgré cette monotonie insipide, qu’aucun but cependant n’a paru trop élevé aux femmes pour leur essor, qu’aucune ambition, si étrange et si démesurée qu’elle fût, ne leur a manqué. L’arène tumultueuse du théâtre ne les a pas trouvées plus craintives que les prédications du socialisme, et on les a vues tour à tour se faire sans scrupule réformatrices, philosophes, théologiennes, dramaturges, critiques, poètes surtout, poètes malgré tout, poètes toujours. Les moindres recoins de l’art ont été envahis sans façon par elles ; aussi serait-on aujourd’hui mal venu à rappeler cette délicatesse modeste et discrète qui n’était pourtant qu’une grace de plus, et qu’autrefois on avait la bonhomie de prendre pour un devoir. Nous ne nous y risquerons