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POETÆ MINORES.

pas : plus d’une muse a l’humeur guerrière, et on doit, par politesse au moins, convenir que les Clorindes sont dangereuses. Je ne saurais d’ailleurs me complaire à égorger long-temps des colombes ; le livre de Mme Bayle-Mouillard m’a enseigné combien la critique est cruelle

Au poète qui sent le dieu se révéler
Et se voit abreuvé de fiel…

Je n’insisterai pas. Si le cœur seul est poète, ainsi que le veut André Chénier, il appartient assurément à la femme de chanter ; il lui appartient, comme dit en un joli vers Mlle de Grandmaison, de

Nonchalamment rêver à ce qu’elle a dans l’ame.

Mais au lieu de se tenir à l’élégie tendre et mélancolique, à ce que la passion éveille en elles d’infinies tendresses, à ce que le sentiment exhale dans leur cœur de suaves parfums, pourquoi les modernes muses veulent-elles soulever les durs fardeaux réservés aux mains viriles ? Le dithyrambe politique et l’ode humanitaire, comme on en trouve trop dans les recueils de Mme Mouillard et de Mlle Quarré, vont mal à ces voix frêles et déliées. Ce n’est pas de cette façon que l’attention fatiguée du public se laissera reprendre aux accens de celles qui l’invoquent si obstinément. Désespérant au surplus de se faire lire, certaines femmes de lettres ont pris récemment le parti de se faire écouter, ou plutôt de s’écouter les unes les autres. Les samedis de Mlle de Scudery, les fabuleuses séances du salon d’Arténice, revivent dans leur splendeur, et c’est sérieusement, assure-t-on, que M. de Castellane songe à créer une académie pour les femmes. Heureusement, quand ces dames seront lasses de leurs lectures réciproques, elles en reviendront comme naguère à se faire imprimer. Le mot piquant de M. de Latouche retrouvera alors son application :

Publiez-les, vos vers, et qu’on n’en parle plus.

Tant que cette poésie énervante, si souvent rencontrée par nous, ne fait que détourner un moment les jeunes esprits des carrières sérieuses, tant qu’elle ne se glisse qu’au foyer domestique ou dans les boudoirs, il n’y a encore que demi-mal ; c’est l’affaire des parens ou des maris d’acquitter les mémoires de l’imprimeur : il suffit de ranger cela au chapitre des vanités dispendieuses. Toutefois quand ce mal, en quelque sorte endémique, descend dans les régions même de l’atelier, quand il donne à ceux qui travaillent le dégoût de ce qui les fait vivre et l’ambition de ce qui doit les conduire à la misère,