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de francs[1]. Elle s’impose, non peut-être sans quelque arrière-pensée, les frais de la police des mers ; elle fortifie par le commerce et par des monopoles l’organisation de ses colonies, afin de les mieux préparer à la grande épreuve de l’émancipation. En 1823 intervient la motion de M. Buxton, éloquemment soutenue par Canning, pour la modification de l’ancien système de l’esclavage. Pendant dix ans encore, les actes parlementaires, les circulaires ministérielles, se suivent pour relever la race noire de sa dégradation. On institue des protecteurs pour les esclaves ; la peine du fouet est supprimée à l’égard des femmes ; peu à peu on travaille à rendre l’émancipation inévitable, et enfin, en 1833, la Grande-Bretagne, proclamant solennellement l’abolition de l’esclavage dans dix-neuf de ses colonies occidentales, affranchit plus de 700,000 noirs, et s’impose un sacrifice de 500 millions de francs pour indemniser les propriétaires dépossédés.

Soit par aveuglement, soit pour se faire une arme des préjugés populaires, les partisans de l’esclavage affectent d’attribuer à des combinaisons machiavéliques la grande résolution qui sera dans l’histoire un des plus glorieux titres de la nation anglaise. M. Dejean de La Bâtie, membre du conseil colonial de l’île Bourbon, s’est fait l’organe de ces préventions injustes dans un rapport adressé au gouvernement[2]. Le motif secret que l’Angleterre cache, assure-t-il, sous des semblans d’humanité, est de détruire les cultures coloniales du Nouveau-Monde, dans l’intérêt de son empire oriental, de transformer des colonies ruinées en postes militaires ou en entrepôts de commerce, d’armer tous les nègres libérés, et d’étouffer au besoin la marine commerciale des autres nations par un immense déploiement de forces. Pour preuve de perfidie, on allègue que l’Angleterre, qui affranchit 700,000 nègres, laisse dans l’esclavage 3 ou 4 millions d’Indiens. Nous ferons remarquer à ce sujet que l’esclavage dans l’Hindoustan a pour excuse la hiérarchie des castes, et qu’on ne pourrait pas décréter l’égalité sociale sans blesser un grand peuple dans ses sentimens religieux. C’est ainsi que la commission préparatoire instituée en France a déclaré que ses dispositions bienveillantes ne sont pas applicables au Sénégal, parce que les esclaves y sont musulmans. Au contraire, l’affranchissement des noirs dans le Nouveau-Monde a été une manifestation instinctive du sentiment européen, une inspiration chrétienne. Oui, c’est ce groupe sérieux et convaincu que l’on nomme en Angleterre le parti religieux, c’est un cri des consciences qui a commandé l’acte de 1833. À chaque temps d’arrêt dans sa marche, le pouvoir était relancé par des associations puissantes, des motions parlementaires, des pétitions sans nombre. C’est ce même parti religieux qui subventionne des missionnaires pour mora-

  1. Le Portugal et l’Espagne prirent l’argent, firent des ordonnances contre la traite, et continuèrent de favoriser les négriers.
  2. Abolition de l’Esclavage dans les colonies anglaises, quatrième publication du ministère de la marine.