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il y a peu de jours, que la compagnie allait mettre à l’essai le plan d’immigration qui doit fournir des travailleurs libres à la colonie dépeuplée.

Quant aux projets qui tendent directement à l’affranchissement des esclaves, ils sont innombrables. On doit les ramener à trois systèmes principaux : — abolition immédiate et générale de l’esclavage ; — affranchissement partiel et progressif ; — affranchissement général et simultané, mais avec un délai préparatoire plus ou moins long.

Le système de l’abolition immédiate et sans restrictions a pour lui l’autorité du fait accompli. L’épreuve a eu lieu à Antigue, et, de l’aveu unanime, les résultats ont été meilleurs dans cette île que dans toutes les autres. L’acte de 1833 laissait aux colons anglais la faculté d’établir ou de n’établir pas un régime transitoire entre l’esclavage et la liberté. Seule entre toutes, l’assemblée législative d’Antigue osa déclarer, le 4 juin 1834, que le 1er  août suivant, les esclaves seraient appelés à une liberté sans restrictions. L’aurore du grand jour éclaira un beau spectacle : les temples furent ouverts, et 30,000 noirs s’y rendirent, calmes, sérieux, fièrement émus et assez maîtres d’eux-mêmes, dès la première heure de liberté, pour réprimer l’exaltation bruyante. Pas d’orgie, pas de rancunes à satisfaire. Protégés eux-mêmes par la liberté, les maîtres renoncèrent peu à peu aux mesures de précaution qui étaient nécessaires sous l’esclavage, et aujourd’hui une garnison de quelques centaines d’hommes suffit à la sécurité de 2,000 blancs, dont 165 propriétaires, au milieu d’une population de 34,000 noirs. À Antigue, comme ailleurs, la partie intelligente de la population noire s’est établie dans les villes pour y exercer le commerce ou les professions mécaniques ; beaucoup de femmes ont abandonné le travail des champs pour les soins de l’intérieur, et cependant la supériorité du travail libre sur le travail forcé, l’emploi de la charrue que repoussaient les esclaves, ont augmenté l’ensemble de la production d’environ 20 pour 100. La propriété foncière tend à remonter au taux qu’elle représentait en capital lorsqu’elle était garnie d’esclaves, de sorte que les propriétaires auront touché, en pur bénéfice, leur part de l’indemnité[1]. Les droits sur les importations, qui ont fourni, en 1833, dernière année de l’esclavage, 13,576 liv. sterl., se sont élevés, après cinq ans de liberté, à 24,650. Le revenu du trésor colonial présente un accroissement considérable et soutenu ; on a diminué les contributions locales ; les biens se dégagent peu à peu de leurs charges hypothécaires ; l’intérêt de l’argent est tombé à 6 pour 100.

Dans l’impossibilité de nier ces résultats, on les a expliqués par des circonstances particulières à l’île d’Antigue. Le territoire, a-t-on dit, présente 69,000 acres en superficie ; les vallées seulement, comprenant 24,000 acres, sont mises en culture ; toute la partie montagneuse est aride et stérile, sans ressource pour l’alimentation, sans refuges pour le marronnage. Ainsi, la population ouvrière, surabondante pour les terres exploitables, s’est trouvée,

  1. Antigue a touché pour sa part 425,538 liv. sterl. (110,638,450 fr.)