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plus grande difficulté de l’administration coloniale a toujours été de trouver des fonctionnaires probes, intelligens, habiles, qui consentissent à s’expatrier : avec les qualités requises pour faire sa fortune dans la métropole, on ne va pas la chercher au-delà des mers. Tout système qui multipliera les agens entraînera des choix suspects et échouera par cette raison. Dans l’esclavage mitigé qu’on propose, le pouvoir correctionnel restera aux maîtres, qui ne sont plus disposés aujourd’hui à en abuser, sauf quelques exceptions déplorables ; le gouvernement n’interviendra que par des mesures générales, pour procurer peu à peu aux noirs les adoucissemens conciliables avec la discipline. Ceux qui sont opposés à la prolongation de l’esclavage affirment qu’il est impossible de moraliser des esclaves : les préfets apostoliques s’applaudissent au contraire des bons résultats qu’ils ont obtenus en ces derniers temps, quand ils n’ont pas été contrariés par les propriétaires. Au surplus, nous avouons que nous comptons peu sur cette moralité hâtive, sur cette vertu de serre-chaude qu’on fait éclore sous le souffle d’un prédicateur : ce n’est qu’à la longue, et par une pratique soutenue des devoirs sociaux, que se forme, au sein d’un peuple, ce sentiment moral qui fait sa force et sa noblesse.

Dans l’état de nos finances, le plus grand obstacle à l’adhésion des chambres est le règlement de l’indemnité. La commission s’est livrée à de fastidieuses recherches pour établir, en moyenne, le prix vénal des esclaves pendant ces dernières années : ces recherches ont donné pour résultat, à la Guadeloupe, une moyenne de 1,102 francs par tête d’esclave de tout sexe et de tout âge ; à la Martinique, approximativement, 1,200 francs ; à la Guyane, 1,362 francs, à Bourbon, 1,600 francs. En combinant toutes ces indications, on arrive à une moyenne générale de 1,200 francs par tête. Le dernier recensement officiel accuse une population esclave de 253,124 individus : l’indemnité à répartir dépasserait donc 300 millions dans l’hypothèse d’une restitution intégrale. Aucun ministère n’oserait adresser aux chambres une pareille demande, Il faudra donc, à l’exemple du gouvernement britannique, prendre un moyen terme, allouer aux colons expropriés la moitié de l’indemnité en argent, et leur laisser pour l’autre moitié les bénéfices du travail forcé pendant dix années encore. On rendrait aux noirs un très mauvais service, si on demandait pour eux plus qu’il n’est possible d’accorder. Leur cause sera gagnée, si l’indemnité, réduite à 150 millions, n’offusque pas les mandataires parcimonieux de nos départemens.

Si, à l’exemple de l’Angleterre, on devait solder l’indemnité à la promulgation de la loi, il serait à craindre que nos planteurs n’épuisassent les noirs pendant la période du travail forcé. Mais on évitera de mettre aux prises la cupidité et la conscience. La liquidation ne sera effectuée qu’à l’expiration des dix années d’esclavage : ainsi, le propriétaire, intéressé à représenter le plus grand nombre possible de sujets, ménagera les travailleurs, et prodiguera aux enfans et aux vieillards des soins efficaces. Le fonds d’indemnité étant d’ailleurs constitué immédiatement par l’inscription sur le grand livre d’une