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DE LA SOCIÉTÉ COLONIALE.

de verve ; elle aime à franchir les mers et à planer sur le monde. Il y a à Londres une trentaine d’associations financières exclusivement consacrées aux spéculations coloniales. Depuis peu d’années, on a fondé à la Jamaïque et à Antigue plusieurs banques pour le service spécial des West-Indies, et à quelques lieues de nos îles, où on ne trouve pas toujours à emprunter à raison de 36 pour 100, l’argent circule librement au taux moyen de 6 pour 100, avec tendance à baisser encore. Mais comment déterminer une circulation vivifiante ? comment créer ce fonds de roulement, sans lequel le travail salarié languirait ? Convient-il d’entrer en arrangement avec une société privilégiée, comme celle qui se présente pour l’exploitation de la Guyane ? N’y aurait-il pas lieu d’essayer quelque système de crédit foncier[1], à l’imitation de ce qui se pratique en Prusse et en Pologne ? Un pareil mécanisme, que beaucoup de personnes voudraient voir approprié à la France, n’est pas sans inconvénient dans les pays riches, où la circulation est déjà abondante. La mobilisation du capital des biens-fonds y aurait les mêmes effets qu’un accroissement subit et prodigieux du numéraire disponible. Si cet accroissement n’était pas absorbé par un déploiement proportionnel des opérations commerciales, il tournerait au préjudice des classes laborieuses, parce qu’alors la dépréciation de l’argent déterminerait, sans compensation pour les pauvres, le renchérissement de tous les objets consommables. Mais cet inconvénient n’existe plus dans les pays particulièrement agricoles, où la vie s’éteint par défaut de circulation. Tel est précisément l’état de nos colonies à cultures. La Pologne se trouvait dans des circonstances analogues, lorsqu’elle fut forcée d’emprunter à la Prusse son système des lettres de gage. La propriété dépérissait, écrasée sous des charges hypothécaires qui avaient pour origine, comme dans nos colonies, les abus du travail servile. Ce fut le gouvernement qui organisa et couvrit de sa garantie un mécanisme ingénieux de crédit foncier, afin d’opérer sans secousses une liquidation inévitable[2]. Nous regrettons de ne pouvoir nous expliquer sur ce point avec plus de précision : un programme financier ne s’improvise pas. Pour restaurer le crédit, il faut avoir sondé profondément les ressources et les garanties qui doivent en être la base : ces études préparatoires exigeraient un ensemble d’informations à la portée seulement de ceux qui sont revêtus d’un caractère officiel.

  1. Les propriétaires y reçoivent des lettres de gage jusqu’à concurrence d’une certaine partie de la valeur de leur propriété, soit moitié, soit trois cinquièmes. Ces lettres, qui sont des contrats hypothécaires mobilisés sous la garantie de l’état, sont transférées par simple endossement, et remplissent dans la circulation les fonctions de l’argent. Le service de l’intérêt est combiné de diverses manières avec l’amortissement de l’obligation principale.
  2. En 1832, le parlement britannique, prenant en considération la détresse des colonies occidentales, accorda un prêt de 1 million de livres sterling (25 millions de francs) pour dix ans, à raison de 4 pour 100. Chaque emprunteur adhéra, comme garantie, à une inscription privilégiée sur ses propriétés.