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ce que la substitution du travail libre au travail forcé paraisse aux planteurs une spéculation acceptable. Nous insistons sur ce point dans l’intérêt même des noirs. C’est un mauvais moyen de protéger les classes opprimées, que de le faire au préjudice direct de la classe prépondérante : ceux qui réussissent la fortune, les lumières, l’expérience, le crédit, parviennent toujours à fausser les améliorations qu’ils n’approuvent pas, et les révolutions ne sortent jamais que des réformes qui échouent. Il y a tout à craindre si les colons, inquiets et malveillans, contrecarrent les pouvoirs législatifs ; mais qu’on leur fasse entrevoir la chance d’une bonne affaire, et l’affaire deviendra également bonne pour les esclaves, bonne pour la métropole.

De l’aveu général, le prélude de toute réforme est la restauration du crédit. Jamais l’argent ne circulera librement dans nos colonies, tant que les créanciers y seront hors la loi. Il faut donc, avant toutes choses, liquider la propriété et offrir à l’avenir des garanties sérieuses aux capitalistes par l’application de notre régime hypothécaire et des conséquences rigoureuses qu’il entraîne. La mise en vigueur de l’expropriation forcée est nécessaire, tout le monde en convient ; mais l’opération sera douloureuse. Quand on pense que la dette hypothécaire de la Martinique et de la Guadeloupe est évaluée au plus bas chiffre à 140 millions, on se demande comment une pareille somme pourrait être réalisée par des ventes judiciaires, dans des îles où l’argent est extrêmement rare, où le commerce est en décadence, où les esprits sont aigris et agités. Les adjudications faites en de pareilles circonstances, et nécessairement à vil prix, ne donneraient-elles pas lieu à des manœuvres spoliatrices, préjudiciables aux créanciers eux-mêmes ? Si l’indemnité qui doit salarier les ouvriers libres est sacrifiée pour éteindre les dettes de l’esclavage, le travail ne sera-t-il pas entravé, le succès de l’émancipation compromis ? En exposant ces craintes, les conseils coloniaux ont demandé que l’indemnité fût déclarée insaisissable, sinon en totalité, du moins en partie. Une semblable prétention a paru monstrueuse aux légistes qui ont voix dans les conseils de la métropole. M. de Broglie pense qu’un répit de deux ans, accordé aux débiteurs, suffit pour qu’ils se mettent en garde contre les rigueurs de la loi, et qu’en offrant aux adjudicataires trois ans de terme pour le paiement, on empêchera par la concurrence la dépréciation des biens à vendre. Il est difficile d’apprécier l’efficacité de ces ménagemens, sans connaître, au moins par évaluation, le montant des dettes sérieuses et immédiatement exigibles. On devrait atténuer davantage les effets de la loi, si la somme des engagemens susceptibles de donner lieu à des exécutions judiciaires paraissait assez forte pour qu’on eût à craindre un déplacement subit et violent de la propriété.

Ne pourrait-on, pour faciliter la liquidation, combiner les réformes projetées avec le renouvellement du crédit au moyen de quelques institutions financières ? Nous savons qu’il serait difficile de déterminer l’intervention des spéculateurs de la métropole dans le commerce colonial. Les capitaux français sont timides et sans essor ; ils ne se meuvent que terre à terre et dans le cercle étroit de la routine. En Angleterre, l’imagination mercantile pétille