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DE LA SOCIÉTÉ COLONIALE.


Report 
22,650 fr.
La construction de quatre-vingts cases pour les esclaves, portée en masse à 28,000 francs, absorbe chaque année en intérêts 
2,800
Hôpital et dépendances, 4,000 francs, soit par année 
400
DÉPENSES COURANTES.
Médecins, médicaments 
2,500
Nourriture (toutes réductions faites en raison de l’abandon du jardin et du samedi) 
10,800
Vêtemens 
3,800
Total de la rétribution allouée au travail 
42,950 fr.

Sur 200 nègres, y compris les enfans et les vieillards, on ne compte que 135 travailleurs, qui, déduction faite des jours fériés et du samedi, ne travaillent que 250 jours par année, sans même en rabattre les interruptions accidentelles. Le propriétaire n’obtient donc en réalité que 33,750 journées, qui lui coûtent 42,950 fr., c’est-à-dire en moyenne un peu plus de 1 fr. 27 c. la journée, sans évaluer la jouissance de la case et du jardin. M. Passy est arrivé, par un autre calcul, à un chiffre équivalent, soit 1 fr. 89 c. pour les hommes et 1 fr. pour les femmes, en moyenne 1 fr. 45 c. Eh bien ! abstraction faite des colonies dont nous avons signalé la condition exceptionnelle[1], le prix du travail accompli par nos esclaves correspond au taux moyen des salaires obtenus par les affranchis anglais, qui est, suivant M. Jules Lechevalier, de 1 fr. 25 à 1 fr. 50 cent. pour la journée de neuf heures. En plusieurs lieux, les salaires sont tombés bien au-dessous de cette moyenne. « À la Barbade, disait en 1841 M. Layrle, la première classe des travailleurs ruraux se paie 1 fr.c. par jour, la seconde 81 cent. » À Antigue, à la Dominique, à Montserrat, la rétribution du travail libre est plus faible encore. Plusieurs causes concourent à l’abaisser insensiblement. Sous l’esclavage, toutes les forces des colonies étaient appliquées à l’exploitation des denrées de luxe : les denrées alimentaires, dont on négligeait la culture, étaient insuffisantes, et par conséquent à très haut prix. Depuis l’affranchissement, au contraire, tous les nègres industrieux spéculent sur la production des vivres, si bien que la subsistance devenant de jour en jour moins dispendieuse, on peut s’attendre à une diminution proportionnelle des salaires.

Dans des pages fort attrayantes, où l’homme d’état semble s’effacer devant l’écrivain, M. de Broglie trace un ingénieux tableau de la société coloniale, telle qu’il l’entrevoit dans l’avenir. Malgré l’autorité de son expérience, nous ne pouvons accepter toutes ses prophéties, et nous aimons à croire qu’il se trompe lorsqu’il prédit, sans trop s’en inquiéter, que l’émancipation de nos colonies y réduira nécessairement la production du sucre. Les cultures variées de la petite propriété peuvent fort bien se développer sans nuire à l’ex-

  1. La Guyane, la Jamaïque, la Trinité, Maurice.