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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/230

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ploitation principale, et il en sera ainsi, pourvu qu’on évite plusieurs fautes commises par nos voisins, pourvu surtout que l’affranchissement se combine chez nous avec une réforme industrielle que la dernière loi sur les sucres a rendue inévitable. En frappant le sucre de betterave d’un impôt progressif jusqu’au terme d’une égalité parfaite avec le sucre colonial, on a voté la mort de la fabrication indigène : c’est un fait que la remarquable discussion de la chambre des pairs vient de mettre hors de doute. Si le sucre de betterave avait été franchement prohibé, les colons auraient pu s’endormir sous la sauve-garde du monopole. La décision prise va au contraire les tenir en éveil, car elle condamne les industries rivales à une lutte désespérée, décisive. Si les colons ne trahissent pas leur propre cause, ils doivent triompher. Les fabricans de la métropole ont, en peu d’années, touché les limites du perfectionnement : loin d’avoir épuisé ses ressources naturelles, l’industrie coloniale est vieillie sans sortir de l’enfance. La culture et la fabrication sont encore, dans les Antilles, ce qu’elles étaient il y a cent cinquante ans. Le sol rend moitié moins qu’il ne devrait donner avec un bon régime d’engrais ; la lenteur des procédés occasionne une perte sur la main-d’œuvre, et la déperdition est tellement considérable, qu’on tire à peine de la canne 7 pour 100 de sucre, au lieu de 18 pour 100 qu’elle contient. Les colons repoussent le reproche d’apathie en disant qu’ils ont été paralysés jusqu’ici par une législation tyrannique, et que d’ailleurs les innovations ont porté malheur à plusieurs d’entre eux ; mais de pareilles excuses ne sont plus de saison : il faut se tirer de l’ornière, si l’on ne veut pas y périr.

Divers perfectionnemens viennent d’être mis à l’essai. Une compagnie s’est constituée récemment dans le but d’exploiter un procédé dont le succès déplacerait l’industrie des sucres. Ce procédé consiste à dessécher les cannes dans les colonies au moyen d’un courant d’air chaud qui en enlève la partie aqueuse, pour ne laisser que le sucre et le bois ; après cette opération, les cannes seraient transportées en France, et converties en sucre dans les usines de la métropole. Une idée plus sympathique, parce qu’elle est moins subversive, est celle que M. Paul Daubrée a développée dans un écrit remarquable[1], et que M. Vincent a réalisée avec succès à Bourbon. La réforme doit avoir pour base le principe fécond de la division du travail. Aujourd’hui, chaque propriétaire est à la fois agriculteur et fabricant ne manipulant que sa propre récolte, il ne lui est pas possible de se mettre en frais pour perfectionner son matériel. Au lieu de ces officines particulières, on commence à construire des établissemens communs, vastes usines disposées d’après les indications de la science, munies d’appareils d’une puissance illimitée, manœuvrées par des ouvriers de choix, opérant avec économie sur des masses considérables, soit que les entrepreneurs achètent les récoltes des petits cultivateurs, soit qu’ils travaillent à prix débattu pour les grands propriétaires. M. Vincent, qui le premier se fit expédier à Bourbon des appareils construits à Paris par

  1. De la Question coloniale sous le rapport industriel, 1841.