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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/234

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REVUE DES DEUX MONDES.

L’échange des produits entre elles et la France entretient un roulement annuel de plus de 120 millions de francs, ce qui est environ la seizième partie de toutes nos transactions extérieures. Les droits perçus en France sur les sucres seulement dépassent 30 millions. La navigation coloniale occupe 10,000 marins, et elle représente les quatre septièmes de notre navigation au long cours, les pêches exceptées. Or, l’affranchissement des noirs devant avoir pour effet de créer une population de consommateurs, augmentera, dans une proportion remarquable, les bénéfices de ce mouvement commercial. Ce n’est pas là une conjecture gratuite. Invoquons encore une fois l’expérience anglaise. Les exportations de la Grande-Bretagne aux Indes occidentales et à Maurice, évaluées en francs et en nombres ronds, donnent les résultats suivants :

Moyenne des quatre dernières années de l’esclavage (1830-33) 69 millions.
des quatre années de l’apprentissage (1834-37) 85
des quatre premières années du régime libre (1838-41) 100

Il y a, nous le savons, un temps d’arrêt dans cet accroissement. Depuis deux ans, les demandes faites à l’Europe ont été moins considérables. Il est au moins présumable qu’après les premières fluctuations, l’excédant de la vente, au profit de l’industrie britannique, ne restera pas inférieur à 25 p. 100. Les chances paraissent plus belles encore pour l’industrie française. Que la fabrication perfectionnée écarte la concurrence du sucre de betterave, que mille ressources négligées aujourd’hui soient fécondées, et l’on verra le mouvement d’échange entre la France et ses colonies obéir à une merveilleuse progression. Le trésor prélèvera sur ces transactions bien au-delà de ses avances, et il se trouvera, en définitive, qu’un sacrifice commandé par la politique et par la morale aura été un placement avantageux. Le seul dédommagement à espérer pour la métropole consistant dans les bénéfices que promet une grande extension de son commerce extérieur, il est évident que le système le plus favorable au développement de l’industrie coloniale sera en réalité le moins dispendieux. Cette dernière considération est décisive en faveur du projet appuyé par la majorité de la commission coloniale.

Qu’il y ait urgence de régénérer nos colonies, c’est ce qu’on ne saurait mettre en doute. Pour être efficace et durable, la réforme économique, conçue dans l’intérêt de la race blanche, doit se combiner avec l’affranchissement des noirs. Lorsqu’à la session prochaine le débat sera ouvert solennellement sur l’abolition de l’esclavage, on ne manquera pas d’exagérer les difficultés de l’entreprise, les sacrifices qu’elle impose, les dangers qu’elle entraîne. Aux clameurs de l’égoïsme, aux frayeurs menteuses ou réelles, il suffira d’opposer ces nobles paroles de M. le duc de Broglie : « Les grandes choses ne sont grandes que parce qu’elles sont difficiles ; les grandes nations ne sont grandes que parce qu’elles font de grandes choses.


A. Cochut.