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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/238

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REVUE DES DEUX MONDES.

Paris n’aurait peut-être pas cru commettre un très grand crime en déguisant légèrement la vérité. Soit ingénuité provinciale, soit plutôt qu’elle eût dans le caractère quelque chose de la résolution de son frère, Henriette répondit sans hésiter :

— Oui, ma tante.

— Vous avez eu tort, reprit Mme de Pontailly d’un ton bref ; un pareil avertissement ressemble presque à un rendez-vous, et c’est ainsi que l’a interprété M. de Moréal, puisqu’il était ce soir à l’Opéra.

Malgré sa ferme détermination de ne pas se laisser traiter en petite fille, Henriette baissa la tête, car elle ne put se dissimuler qu’il y avait un fonds de vérité dans le reproche de sa tante.

— Puisque nous voici sur ce chapitre, poursuivit la marquise, qui redoubla de gravité en remarquant l’embarras de sa nièce, il est de mon devoir de vous donner quelques conseils. M. de Moréal est l’ami de votre oncle, et c’est à ce titre seul qu’il est reçu chez moi. Il est inutile sans doute de vous dire quelle inexcusable inconvenance vous commettriez, si d’une manière ou d’une autre vous lui donniez le droit de vous supposer des sentimens condamnés par votre père. Vous avez été trop bien élevée, j’espère, pour que j’aie quelque chose à craindre à cet égard.

Henriette releva la tête, et fixant sur sa tante un regard où perçait plus d’inquiétude que de crainte :

— Est-ce que vous voulez aussi que je me marie avec M. Dornier ? lui dit-elle ; j’avais tant espéré de trouver en vous un appui !

— Contre votre père, mademoiselle ? n’y comptez pas.

— Non pas contre mon père, mais contre cet homme odieux qu’il veut me faire épouser.

— En ce moment il ne s’agit pas de M. Dornier…

— Mais au contraire, ma tante, c’est bien de lui qu’il s’agit, puisque ce matin même mon père m’a dit qu’il me ferait enfermer dans une pension, si je ne consentais pas à ce mariage.

Par un instinct tout féminin, la jeune fille avait déplacé la discussion. Mme de Pontailly réfléchit un instant, et reprit ensuite d’un ton plus doux :

— Écoutez, Henriette, je suis votre tante, presque votre mère, et je ne demande pas mieux que de vous prouver mon amitié, pourvu que vous vous en montriez digne. Vous devez comprendre que je ne puis ni ne dois vous encourager à désobéir à votre père. Il faut donc me promettre de ne plus voir dans M. de Moréal qu’un étranger, et à cette condition, si ce mariage avec M. Dornier vous cause réelle-