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UN HOMME SÉRIEUX.

père barbare est dans la loge, et ma femme elle-même me semble peu disposée à compatir à votre martyre. Moréal parut surpris.

— Comment ai-je pu déplaire à Mme de Pontailly ? répondit-il, hier encore elle m’a accueilli avec tant de bienveillance !

— Hier, oui, mais aujourd’hui le vent a changé. Mme de Pontailly, que je croyais bien disposée en votre faveur, m’a paru fort refroidie ce matin lorsque je lui ai parlé de vous. Je crois, en vérité, que, malgré mes bonnes intentions, c’est moi qui vous porte malheur. Deux échecs en deux jours ! On a raison de le dire, la fortune n’aime pas les vieillards.

— Que me conseillez-vous ? demanda le vicomte d’un air attristé.

— À votre place, dit le marquis, j’aborderais franchement la question avec Mme de Pontailly. Jamais une cause n’est mieux plaidée que par la partie intéressée ; là où j’ai échoué, peut-être réussirez-vous.

Mme de Pontailly voudra-t-elle m’accorder un entretien ?

— Je crois pouvoir vous l’assurer, répondit le vieillard sans s’expliquer davantage.

La sonnette qui annonce le lever du rideau s’étant fait entendre, les deux hommes se séparèrent. Le vicomte revint à sa place un peu plus soucieux qu’il n’en était sorti. Pendant le reste de la représentation, il dut se contenter de quelques regards furtivement échangés, et même à la fin il crut prudent de s’interdire ce plaisir consolateur, car il s’aperçut que la lorgnette de la marquise le surveillait avec obstination chaque fois qu’il tournait les yeux vers la loge.

— Pédante et méchante ! se dit-il, voilà deux rimes à tante que je n’oublierai pas, si j’esquisse jamais le portrait de cette duègne incommode. Que lui a fait sa nièce pour qu’elle la soumette à cet espionnage odieux ? En vérité, elle a l’air de la détester ; pendant toute la soirée, elle ne lui a pas adressé trois fois la parole.

Mme de Pontailly, en effet, gardait vis-à-vis d’Henriette une contenance si froide, qu’à plusieurs reprises la jeune fille ne put s’empêcher de la regarder avec étonnement. Durant la représentation, à peine échangèrent-elles quelques mots ; mais, à leur retour, la marquise retint sa nièce, lorsque M. de Pontailly se fut retiré.

— Vous avez donc dit hier à M. de Moréal que nous irions aujourd’hui à l’Opéra ? lui demanda-t-elle en accompagnant cette question d’un regard scrutateur.

Plus d’une jeune fille fort bien élevée dans quelque pensionnat de