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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/252

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REVUE DES DEUX MONDES.

diront mes collègues en apprenant que mon fils est en prison ? Déjà je les offusque ; ils seront enchantés de trouver un grief à me jeter à la face. Qui sait s’ils ne prétendront pas que je suis responsable des folies de ce drôle ?

— Qui donc sera responsable de la conduite d’un étourdi, si ce n’est son père ? répondit sévèrement le vieillard ; si vous vous étiez occupé un peu moins de vos rêvasseries politiques, et un peu plus de Prosper, tout ceci ne serait pas arrivé.

M. de Pontailly a raison, mon frère, dit la marquise, qui jusqu’alors avait écouté en silence ; vous avez fort mal élevé votre fils, et, s’il commet des fautes, c’est surtout à votre négligence et à votre faiblesse qu’il faut les attribuer.

— Ma négligence ! ma faiblesse ! répéta M. Chevassu d’un air offensé ; me faites-vous donc un crime de ne pouvoir consacrer à la surveillance d’un écolier le temps que me demandent impérieusement les affaires du pays ? Les devoirs d’un citoyen…

— Morbleu ! soyez citoyen tant qu’il vous plaira, s’écria le marquis avec impatience, mais d’abord soyez père ; on vous dit que votre fils est en prison, et vous ne pensez qu’à l’influence que peut exercer cet évènement sur votre position à la chambre. Vous devriez déjà être en course pour solliciter l’élargissement de ce pauvre Prosper.

— Après tout, il ne me semble coupable que d’imprudence, dit Mme de Pontailly.

— Solliciter ! nous y voilà, fit M. Chevassu en hochant la tête d’un air d’amertume, c’est-à-dire que grace à cet étourdi, au lieu d’amener le pouvoir à compter avec moi, c’est moi, au contraire, qui vais être forcé de lui demander une faveur ; au lieu d’entrer à la chambre sans aucun engagement et libre de toutes mes allures, je vais me trouver l’obligé d’un ministre qui peut-être se croira des droits à ma reconnaissance ! Voilà donc ma position compromise dès le début, et cela parce qu’un mauvais sujet, parce qu’un vaurien…

— Je ferai toutes les démarches, et vous n’y paraîtrez en rien, interrompit avec un ricanement brusque le vieillard ; je comprends qu’il serait assez désagréable de vous faire ministériel, avec la mise en liberté de votre fils pour toute récompense ; passe encore si l’on y joignait la place de procureur-général ou de premier président à la cour de Douai !

Cette insinuation, qui frappait le député au défaut de la cuirasse, attira sur ses lèvres un sourire dédaigneux.