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Page:Revue des Deux Mondes - 1843 - tome 3.djvu/266

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REVUE DES DEUX MONDES.

vacité cité d’un enfant heureux ; savez-vous la grande nouvelle ? cet affreux mariage est rompu.

— Il m’est cruel de vous désabuser.

— C’est mon père lui-même qui m’a dit qu’il renonçait à son projet.

— Pour un instant, mais il y est déjà revenu.

— Que vous êtes entêté !

— C’est malheureux qu’il faut dire.

— Mais vous êtes fou ! Quand je vous dis que, grace à ma tante, nous n’avons plus rien à craindre.

— Votre tante ! s’écria le vicomte avec une sorte d’emportement ; connaissez-vous votre tante ?

— Si je la connais ! c’est la raison et la bonté réunies.

— Enfant ! reprit Moréal d’un air de tendre compassion ; vous rappelez-vous les contes de fées ?

— Les contes de fées ? répéta Henriette en ouvrant de toute leur grandeur ses beaux yeux bruns.

— Vous savez que dans presque tous il se trouve une créature envieuse, méchante, rancunière, qui se plaît à jeter le trouble au milieu des plus belles fêtes, à persécuter les princes les mieux doués et surtout à tourmenter les amans ; eh bien ! cette détestable fée, c’est votre tante.

— Monsieur, dit la jeune fille d’un air offensé, outrager ma tante, c’est m’outrager moi-même.

Pour toute justification, Moréal répéta ce que lui avait raconté M. de Pontailly deux heures auparavant. Pendant ce récit, Henriette passa successivement de la surprise à l’anxiété et de l’anxiété à l’abattement.

— Qu’ai-je fait à ma tante pour qu’elle me traite ainsi ? dit-elle à la fin d’un air consterné.

— Ce que vous lui avez fait ? je vais vous le dire, répondit le vicomte avec ironie ; vous êtes jeune, et elle ne l’est plus ; vous êtes belle, et elle ne l’est plus ; vous êtes adorée, et elle ne l’est plus. Toutes les roses de votre printemps lui enfoncent leurs épines dans le cœur. Si vous étiez laide et sotte, elle vous tolérerait, elle vous aimerait peut-être, car le contraste lui serait avantageux ; mais vous êtes spirituelle et charmante, mais près de vous elle se sent éclipsée ; donc, n’en doutez pas, elle vous hait.

— Dès le jour de notre arrivée, j’avais cru le deviner, dit la jeune fille, dont la physionomie était devenue pensive et morne.

— Les premières impressions ne trompent pas. Mme de Pontailly