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ces velléités de fédération des chrétiens du Danube avec les Turcs, que l’on condamne à mourir pour se partager leurs dépouilles. Au nom du statu quo, la diplomatie, résistant à la tendance nouvelle des peuples orientaux, les entraîne vers leurs vieux instincts de morcellement et d’exclusion ; elle leur remet le poignard à la main, elle les pousse les uns contre les autres. Et devant un tel machiavélisme, l’opinion publique reste muette ; parmi tant de journaux qui incessamment invoquent contre l’absolutisme les droits des nations, pas un seul n’élève la voix en faveur des Serbes, et toute l’Europe libérale semble approuver par son silence la coalition des cabinets contre un petit peuple qui ne voulait que s’affranchir du protectorat écrasant de la Russie ! Heureusement il n’y a point encore lieu de désespérer. Quand même on étoufferait le premier élan des Slaves de Turquie, d’autres lui succéderont, de plus en plus énergiques. Quelque puissante qu’on la suppose, la diplomatie n’a pas le pouvoir d’étouffer la tendance naturelle d’un peuple ; or, la tendance des Slaves est à la liberté ; et quand huit millions d’hommes sont enfin unanimes pour secouer un joug, il faut bien que le joug tombe.

II.

En laissant s’établir une administration régulière dans ces contrées, l’Europe n’opposerait pas seulement une digue à la Russie, elle rendrait des bras découragés et d’immenses régions inexploitées au travail et à la production ; elle ferait refluer vers ses manufactures les matières brutes en bien plus grande abondance, et à des prix bien plus bas qu’elle n’a pu les avoir jusqu’ici ; elle ouvrirait pour ses étoffes des débouchés fermés jusqu’à ce jour, elle ferait sortir du néant la marine bulgaro-serbe, elle créerait sans frais des ports marchands qui ne tarderaient pas à rivaliser avec ceux de la Russie et de l’Autriche. Si tant de beaux résultats paraissent un rêve, qu’on jette seulement les yeux sur une carte d’Europe : on verra que les pays bulgaro-serbes débouchent à la fois sur la mer Noire, sur l’Adriatique et l’Archipel, que les Serbes d’Albanie possèdent en face d’Ancone Antivari, que leurs frères les Bulgares ont en face d’Odessa l’excellente baie de Varna, et Orfano vis-à-vis de l’Hellade. Les provinces occupées par ces deux nations forment une superficie qui équivaut à plus de la moitié de la France, et comptent parmi les terrains les plus féconds et les plus privilégiés de l’Europe. Dès que le labou-