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Le cerf et l’oiseau, qui, dans ces lieux, s’enfuient à l’approche du chakal ou du vautour, demeurent paisibles en voyant passer l’homme. Les savanes et les forêts d’Amérique ne peuvent offrir une image plus complète du désert. Par un ancien traité fait avec la Turquie, l’Autriche avait obtenu toutes les îles du Danube et de la Save. Beaucoup d’entre ces îles appartiennent maintenant aux Serbes, comme la Tsiganlia, en face de Belgrad, et l’industrieuse Poretch. Quant à celles que l’Autriche possède encore, elles sont pour la plupart désertes, malgré la séduisante beauté de leur végétation, et les avantages que leur situation offre au commerce. Les seuls visiteurs que reçoivent ces îles fortunées sont parfois des troupeaux de buffles qui s’y rendent à la nage des rivages voisins, pour s’y reposer dans les hauts et frais herbages. Les malheureux que fait notre civilisation sont aujourd’hui forcés de s’en aller par milliers d’Angleterre, d’Allemagne, d’Italie, jusqu’en Amérique, perdant ainsi l’espoir de jamais revoir leur terre natale, et dans l’Europe même il y a de vastes contrées désertes ! Les îles du Danube, par exemple, une fois arrachées au régime du monopole, offriraient à des essaims d’émigrans de riches asiles. Combien de florissans villages bulgares la liberté ferait naître comme par enchantement à l’ombre de ces forêts primitives, où n’habitent aujourd’hui que les sangliers et les ours !

Il faut déplorer l’état de ruine et d’abandon où l’Autriche laisse le cours du Danube, qu’elle est censée en Europe exploiter avec activité. Aucun travail de canalisation, aucune digue, aucun pont permanent n’existe même sur la partie du Danube qui traverse la Hongrie ; à plus forte raison ce fleuve immense est-il abandonné à toute sa fougue dévastatrice dès qu’il a atteint la Turquie. Où trouve-t-on plus de misère qu’à Belgrad, qui est cependant le principal point de communication entre l’Autriche et l’empire d’Orient ? En vain le Danube se déroule comme une mer autour de cette ville qu’il appelle à devenir un vaste foyer d’industrie ; l’Autriche se refuse à toute concession qui pourrait développer la vie chez ses voisins. On parle beaucoup de sa navigation à la vapeur ; cette navigation s’arrête réellement aux écueils et aux tourbillons d’Orchova. Rien n’a été fait pour rendre ce dangereux passage praticable aux gros bateaux ; on est contraint de déposer marchandises et voyageurs pour les transporter par terre d’Orchova à Drenkova, et les embarquer plus bas sur des pyroscaphes venus de Trieste par Constantinople ! Ne serait-il pas plus naturel que ces bâtimens fussent serbes, turcs et valaques ? Aussitôt les populations riveraines, y voyant leur intérêt, se senti-