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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

raient le courage de faire les travaux de canalisation nécessaires, et le plus grand fleuve de l’Europe offrirait enfin au commerce les résultats qui seraient depuis long-temps obtenus, si l’Autriche ne reculait pas sans cesse devant les dépenses d’entretien qu’exige le cours du Danube. On objectera les écueils brisés par la mine sous Orchova, les travaux tant prônés de la compagnie autrichienne, commencés en 1837 à la demande et par les soins du comte Szecheny ; mais ces travaux n’ont point atteint leur but, puisque les pyroscaphes continuent de s’arrêter devant les rapides d’Orchova. Il serait honteux qu’un fleuve qui met en communication tant de peuples, et dont la majesté éclipse celle du Rhin, demeurât dans la nullité à laquelle l’ignorance de l’Europe l’a jusqu’ici condamné. En vue de son propre intérêt, l’Europe doit aider les huit millions de Bulgaro-Serbes dont ce fleuve est l’artère vitale à l’arracher enfin au monopole de l’Autriche. Sur un espace de plus de trois cents lieues, il baigne des champs serbes ou bulgares ; ceux qui cultivent ces champs ne peuvent sans injustice être dépossédés des eaux qui les fécondent, surtout quand ces eaux, restituées à leurs légitimes maîtres, ouvriraient au commerce européen des sources nouvelles de richesse, dont il ne pourra jouir qu’à cette condition.

III.

Les dispositions physiques du sol, dans les pays bulgaro-serbes, ne favorisent pas seulement le développement du commerce européen, elles préparent aussi l’accord politique des habitans. En ne faisant qu’un seul groupe des balkans serbes et des balkans bulgares, la nature semble conspirer avec l’état moral des provinces slaves pour les conduire à l’unité. Les montagnes serbes, de Skadar au Danube, sont surtout merveilleusement disposées pour garantir l’indépendance aux indigènes. Formant de toutes parts un labyrinthe inextricable de chaînes escarpées et couvertes de forêts vierges, elles sont d’autant plus inabordables à l’artillerie et aux armées du dehors, que leurs vallées, fermées à la frontière par des sommets à pic, débouchent presque toutes dans l’intérieur de l’empire. Les chaînes qu’on pourrait appeler le Mont-Blanc de cette Suisse orientale forment précisément les confins de la Bosnie et de l’Albanie slave. Ces méandres granitiques nommés Albii dans l’antiquité, et qui ont donné leur nom aux Alpes, se régularisent, se disciplinent pour ainsi dire