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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

Encore ne peuvent-ils traiter avec ces marchands que par des intermédiaires étrangers qui s’enrichissent aux dépens du laboureur. Ainsi le vieux pacha de Vidin, Hussein, accaparait dans ses magasins la laine, le coton, la soie brute de la Bulgarie, sur lesquels il s’arrogeait le droit de vente exclusive. Il forçait de même les Bulgares à ne vendre qu’à lui seul leurs bestiaux, et entretenait habituellement dans ses bergeries 11,000 bœufs et jusqu’à 100,000 moutons pour fournir les marchés d’Allemagne. Ces monopoles ont deux résultats : en empêchant la surenchère, ils maintiennent tous les produits et la main-d’œuvre à un prix incroyablement bas ; de plus, en enlevant au paysan tout espoir de s’enrichir par le travail, ils le rendent indifférent aux plus légitimes jouissances, et l’habituent à vivre dans le dénûment le plus absolu. Un tel système n’a pu cependant étouffer la nature active du Bulgare ; l’espèce d’acharnement qu’il porte dans ses travaux d’agriculture a fini par l’exposer sans défense au feu des Turcs, les défrichemens ont détruit une partie des forêts et des halliers qui cachaient les villages, et disposaient merveilleusement le pays pour une guerre de partisans, la seule que la raison puisse conseiller aux Bulgares. Ainsi, leurs propres vertus ont contribué à river leurs fers. Malgré leur nombre imposant de quatre millions et demi, les Bulgares ne peuvent désormais songer à agir seuls. Pour leur bonheur, ils voient se relever derrière eux l’indomptable nation serbe, qui, ayant une position bien différente, est toute disposée à les soutenir dans la paix comme dans la guerre.

C’est une admirable combinaison de la nature qui a rapproché cette nation turbulente, toujours prête au combat, de la race non moins vigoureuse, mais plus paisible, des industrieux Bulgares. L’un de ces peuples ne peut former sans l’autre une société complète, mais l’un supplée à ce qui manque chez l’autre, et tous les deux réunis peuvent se passer du monde entier. On trouverait difficilement deux nations dont le parallèle prêtât à un plus riche développement d’antithèses et d’analogies. C’est surtout quand on passe de la hutte du pâtre serbe de Macédoine à la cabane du laboureur bulgare de la Romélie qu’on est frappé de la différence des mœurs. Le Serbe est sans doute d’une nature plus élevée ; il a un sens plus délicat pour la poésie, un amour plus ardent de la gloire, un costume plus riche, une plus ferme conscience de sa nationalité. L’Europe n’a pas de peuples plus belliqueux que les Serbes ; dans toutes ses luttes, l’Autriche a soin de lancer, sous le nom de troupes hongroises, les régimens de cette nation à l’avant-garde, au plus fort de la mêlée, et au