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siècle dernier les Serbes musulmans rendaient le même service aux armées de la Porte. Dans son humble résignation, Le Bulgare a cependant des vertus solides qui manquent à son brillant voisin : il sait mieux éviter les extrêmes, il est plus sérieux, plus constant dans ses entreprises. Doué de moins d’imagination, il l’emporte par les qualités du cœur. Bien que plus rapproché de l’Asie, il a des usages beaucoup plus européens ; il ne se croise pas les jambes chez lui, comme tant de Serbes le font encore. S’il n’a pas la coiffure militaire et le spencer doré, en revanche il n’a pas, comme le Serbe, adopté le pantalon asiatique aux larges plis. Ses vêtemens à couleurs sombres rappellent, par la teinte et la coupe étriquée, ceux du paysan de l’Allemagne, dont il a, du reste, le genre de vie, tandis que le Serbe a plutôt le caractère d’un ancien hidalgo catalan du temps des guerres contre les Maures. Le Bulgare d’ailleurs est loin de manquer de courage : comme kiradchia (conducteur de caravanes), il doit souvent défendre, les armes à la main, ses chameaux ou ses mules contre l’attaque du haïdouk ou du bédouin. Dès qu’il aura une patrie à défendre, il ne combattra pas pour elle avec moins d’intrépidité qu’il ne combat aujourd’hui pour sauver un convoi de marchandises.

Mais, si le Bulgare prétend s’isoler dans la patrie qu’il aura reconquise, quelles limites s’assignera-t-il qui ne froissent ses voisins serbes, lui qui, en débordant comme un fleuve trop plein, a inondé de ses colonies des provinces entières au sud et à l’ouest, et s’est privé ainsi de toute frontière naturelle ? Pour éviter de longs démêlés et peut-être un nouveau démembrement, il est sage qu’il s’unisse à ses voisins. La Serbie a des antécédens politiques déjà solidement établis ; elle est assez forte pour servir de point d’appui aux patriotes bulgares, sans être, comme la Russie, assez redoutable pour les opprimer sous le masque de la protection. Ce que nous disons ici des deux pays bulgare et serbe s’applique également à leur littérature : commencé il y a cinquante ans, le mouvement littéraire des Serbes est déjà très développé ; déjà ils ont dans leur langue des compositions de tout genre. La littérature bulgare, encore dans l’enfance, ne pourra que gagner à des relations plus intimes avec celle de la Serbie. En se modelant, comme ils ont commencé à le faire, sur une littérature beaucoup plus mûre et plus européenne, celle des Russes, les écrivains bulgares s’absorberont dans leurs modèles ou seront frappés de stérilité. Les deux idiomes serbe et bulgare offrent d’ailleurs des différences si peu essentielles, qu’ils peuvent arriver