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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

mis en apparence, en sont-ils plus réellement attachés au sultan ? Ils le sont moins que jamais. La soif de la vengeance les consume : ne pouvant l’assouvir, depuis que le nizam stationne avec ses canons dans leurs koulas et leurs forteresses, ils ont recours aux plus basses flatteries pour gagner à leur cause les pachas et les aïans nommés par la Porte. Désormais les révoltes, au lieu d’être l’expression ouverte et franche de la nation, seront le fruit des machinations secrètes de quelques pachas turcs qui, dans leur ambition, se feront des Slaves un rempart contre leur propre souverain.

Tout en plaignant les victimes et en flétrissant la violence avec laquelle le cabinet du sultan poursuit son œuvre de destruction contre les spahis, il est facile d’entrevoir pour la société bosniaque un avenir tout différent de celui qu’attendent les Osmanlis. Croyant n’agir que pour eux seuls, ils centralisent de plus en plus, sans s’en douter, les forces de la nation serbe, ils préparent la réunion fédérale des différentes peuplades de cette race indomptée. Au commencement de 1843, un dernier hatti-chérif, spécialement adressé à la Bosnie, a confirmé l’abolition de tous les priviléges des spahis et déclaré les rayas absolument égaux aux disciples du Koran. Cette nouvelle attaque du divan ne peut que faire baisser encore son influence dans les districts de Bosnie, où les chrétiens sont en minorité, et où le fanatisme religieux des musulmans, contrairement à la tendance ordinaire de l’islamisme, n’est que le fanatisme de la patrie, placée par ces guerriers au-dessus de la religion même. Quand l’ensemble de droits et de priviléges qui avaient jusqu’ici fait des Bosniaques une société à part entre l’Occident et l’Orient sera décidément aboli, les spahis slaves, dédaignant une religion asiatique dont le pontife les opprime, tendront la main aux ghiaours. La nécessité de ce rapprochement est déjà claire en Bosnie pour tous les esprits élevés au-dessus de la foule.

Partagée moralement en deux grandes régions, représentées l’une par les nahias ou districts du nord et de l’est, l’autre par les nahias du sud et de l’ouest, la Bosnie se rattache, d’un côté, à la principauté serbe, de l’autre, au Monténégro. Ces deux régions, toujours agitées, ne retrouveront le repos qu’en se réunissant aux deux états qui, de points opposés, pèsent sur elles et les dominent.

Il en est à peu près de même pour tout le nord de l’Albanie, qui semble condamné à languir sous les ravages des Monténégrins jusqu’à ce que la confédération serbo-mirdite ait été enfin reconnue par la Porte. Malheureusement, beaucoup de tribus catholiques d’Albanie,