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LE MONDE GRÉCO-SLAVE.

serbe parmi les raïas slaves aurait d’hostile pour eux comme pour les Bulgares : c’est d’enlever à ces derniers tout désir de changer de maîtres. Ils y réussiront sans peine en réorganisant les communes, le clergé, le commerce de la Bulgarie, et en aidant ces montagnards à rivaliser avec leurs frères serbes de puissance et d’activité. De cette manière, les Turcs se sauveront eux-mêmes et rétabliront entre les deux peuples slaves un équilibre qui permettra au sultan de garder sa souveraineté. Mais, pour qu’un accord durable puisse s’établir entre le sultan et les Bulgares, il faudrait à ceux-ci un intercesseur, un avocat, près de la Porte. Par leurs continuels abus de pouvoir, les pachas se sont rendus incapables d’opérer une conciliation. À défaut de garanties intérieures, les Bulgares continueront de chercher hors de l’empire une protection trompeuse ; ils devront invoquer le tsar russe, si on s’obstine à leur interdire l’appui de la Serbie, qui se trouve, heureusement pour les Bulgares et pour les Turcs, placée dans l’empire même : position vraiment providentielle. En effet, le prince des Serbes est vassal du sultan ; s’il reçoit de la Porte mission officielle de surveiller les pachas de Bulgarie et de dénoncer leurs concussions, ce n’est qu’une hiérarchie qui remonte à son principe. Le kniaze serbe n’abuserait pas impunément de son droit de protection, puisque le sultan peut le citer comme félon à son tribunal, et la Porte jouirait d’une initiative bien plus sérieuse que si les Bulgares, au lieu de reconnaître pour protecteur le kniaze serbe, reconnaissaient, ne fût-ce que secrètement, le tsar moscovite.

Par cette combinaison, la Serbie, devenue protectrice, augmenterait sa stabilité de tout l’appui moral que lui prêteraient ses protégés. Les deux peuples, se servant l’un à l’autre de rempart, marcheraient, forts de leur mutuelle solidarité. Capable dès-lors de secouer le joug moscovite, la Serbie se développerait de plus en plus en dehors du cercle d’action de la Russie, et se rapprocherait de Constantinople. Quoiqu’il semblât mutiler sa couronne par cette concession faite aux Bulgares, le sultan augmenterait réellement son pouvoir de tout ce qu’il enlèverait aux agens russes d’influence officielle et secrète sur huit millions de Slaves. Que la Porte, au contraire, se refuse à ces concessions libérales, le refus aura pour conséquence d’obliger enfin les Serbes et les Bulgares, isolés et oubliés de l’Europe, à voir tous ensemble dans la Russie leur protectrice commune. Ainsi, la Porte, en voulant trop garder, risque de tout perdre.

Si l’intervention diplomatique de la Serbie et la réforme commu-